Black Fox

Chapitre 4 : L'enfant parfait de l'Amérique

J'avale ma salive, me remémorant mon meilleur ami. Avec la guerre, les découvertes, je n'ai pas pu pleurer Bucky. La semaine suivant sa disparition a été tellement intense qu'elle m'a anesthésié. Je ne voulais pas y croire. A mon retour à la vie, 70 ans plus tard, j'ai dû m'adapter à ce monde, pour me rendre compte que je n'avais plus rien et rempli aucune de mes promesses. Je n'ai pu ni aller danser avec Peggy, ni détruire Hydra qui s'est effondré seul, ni mettre fin à la guerre. Mais par-dessus tout, j'ai abandonné mon frère, mon meilleur ami. Lui qui a toujours été là pour moi, je l'ai laissé tomber et abandonner son corps. Je n'ai pas pu être là pour lui la seule fois où il a eu besoin de moi.

A côté de moi, Maisie pilote silencieusement, attendant que je me confie. Je ne la connais pas depuis longtemps, mais quelque chose en elle me donne envie de lui faire confiance, de me confier à elle.

-          Quand j'étais gamin, j'étais une vraie teigne. Filiforme, malade, moitié moins grand que tous les gars de mon âge, cela ne m'empêchait pas de me battre contre tout ce que je trouvais injuste. J'ai pris pas mal de coup, bien plus que j'en ai donné. Si je m'en suis sorti toutes ces années, c'est grâce à mon meilleur ami, Bucky.

-          Un véritable ange gardien.

-          Un bourreau des cœurs également. Il avait toutes les filles à ses pieds, même des femmes. C'est comme ça que j'étais soigné. Bucky me sortait d'une bagarre et m'amenait chez une dame, lui faisait un charmant sourire et quelques compliments. Et quelques jours plus tard, j'étais remis sur pied, sans avoir à débourser le moindre centime.

-          Pas mal, tu as dû en profiter.

-          Je t'avoue qu'au départ, j'avais plutôt honte. De moi, d'être incapable de me protéger, de me défendre, de me soigner, d'avoir la charité. Alors pour rembourser ma dette, j'ai commencé à faire des petits boulots pour compenser. N'étant pas vraiment physiquement en forme, j'ai fait pas mal de boulot dans les maisons, dans les comptes, Bucky avec moi. C'est là que les Black Fox nous ont approchés...

-          Ah ! Je me demandais bien comment l'enfant parfait de l'Amérique a pu faire partie d'un gang !

L'ironie dans la voix de Maisie nous fit éclater de rire. Pour la première fois depuis longtemps, trop longtemps pour m'en souvenir, je m'abandonne au rire. Comme si mon corps a besoin de rattraper 70 ans figé dans la glace.

Lorsque je repris enfin mon souffle, Mon amie est concentrée sur le vide, ayant rallumé les micros quand je me suis étouffé de rire. Elle termina son compte-rendu avant de nous couper à nouveau du monde.

-          Pourquoi as-tu accepté de faire partie du gang ?

-          Pour ma mère. Elle avait elle aussi une santé fragile et ne pouvait pas toujours travailler. Et les Black Fox payait bien les informations données.

-          Tu aurais pu entrer dans un autre gang...

-          J'étais un gringalet bagarreur et immature. Je me doute qu'un autre gang m'aurait accepté. Et puis, je suis reconnaissant aux Blacks Fox. Par les missions qu'ils me confiaient, j'en ai appris bien plus sur la société que je l'imaginais. Et, je dois l'avouer, j'ai réussi à berner bien plus de personne que je l'aurais cru. Jouer le naïf et humaniste garçon m'a ouvert bien des voies.

-          Si en plus tu m'apprends que tu es gai, je crois que tu es le meilleur acteur au monde.

-          Gai ?

-          Préférence sexuelle pour les hommes.

-          Ah.

Pour toute réponse, je ne lui fis qu'un sourire en coin. Honnêtement, si elle savait. En grandissant, j'ai compris qu'il ne fallait pas forcément être beau pour avoir une relation, il fallait simplement charmer. Le physique compte beaucoup, c'est vrai, mais l'attitude également. J'ai tout autant fait mes griffes que Bucky, simplement, dans des coins moins voyants, me faisant une réputation de timide et inculte sur l'amour.

-          Seul Bucky connait le véritable Steve Rogers, par la caricature fournie au public. Howard Stark devait également avoir des doutes, mais n'a jamais pu percer ma coquille. Toi, tu es la première à qui j'avoue tout ça.

-          Et j'en suis extrêmement flatté, monsieur America. C'est pour ça que pendant la guerre, tu es parti à sa recherche ?

-          En partie. Bucky a toujours été là pour moi. On s'est fait une promesse « Until the end of the line ». Je dois le retrouver, comme il l'a fait pour moi de nombreuses fois. Et si je ne trouve que son cadavre, alors je lui offrirais une sépulture digne de lui.

-          Il n'a pas été enterré ?

Le ton choqué de Maisie me fit retourner vers elle. Alors que je la connais depuis moins de six heures, j'ai l'impression d'avoir vécu à ses côtés. Comme si elle était une part de moi, une sœur inconnue. Pourtant, elle n'est pas de mon ancienne époque, elle ne connait pas Bucky. Elle ne connait pas vraiment l'histoire.

-          Nous étions en mission. Nous devions arrêter un scientifique à bord d'un train et les choses se sont mal passé. Bucky est tombé dans un ravin... Je n'ai pas pu le rattraper. Il est tombé et je n'ai pas pu aller ramasser son corps, déjà envoyé dans une autre mission... En revenant à la vie, j'ai appris que personne ne l'avait cherché. Personne n'avait voulu perdre du temps à chercher un héros de guerre, à lui offrir une sépulture.

-          C'est pour ça que tu es parti.

-          En autre oui. Avant, je m'amusais, je jouais avec mon image d'enfant de la nation. Mais en revenant, j'ai été enlisé dans ce costume informe, sans pouvoir m'en défaire, sans personne pour se moquer de moi, me soutenir. Alors j'ai trouvé un prétexte et j'ai fui. Dans un sens, Bucky m'a encore sauvé, une fois de plus.

-          Alors je t'aiderai, je te le promets. Je ne pourrais pas remplacer ton meilleur ami, mais je serais à tes côtés aussi longtemps que possible.

La gorge nouée, je ne pus qu'hocher la tête aux paroles de Maisie. Dans ma poitrine, mon cœur bâtit un peu plus vite à son regard sérieux. Mon intuition me hurle de lui faire confiance, tout comme elle m'a hurlé de suivre Bucky. Elle m'a toujours guidé, me faisant emprunter un chemin jamais imaginé. De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais d'autres choix. Seul, je ne survivrais pas à cette époque. Alors, autant être bien accompagné.