Chapitre 5

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Mon jugement - enfin le mien et celui de Clémence - a été très bien accueilli. Quand j'ai prononcé la sentence, j'ai vu exactement ce que je voulais voir : le condamné n'a pas eu l'air d'avoir une quelconque rancune envers ma sentence, mais plutôt des regrets. Oui. Il semblait vraiment regretter, ce qui me penser qu'il n'aura pas envie de recommencer.
Finalement, ma punition était peut-être plus sévère que celles des autres ; sa vie allait être bien plus dure en tant que 6 qu'elle ne l'aurait été s'il était devenu un 0. Mais elle lui ferait aussi certainement comprendre mieux les vrais problèmes du peuple. La dissolution des castes était nécessaire pour atteindre une vraie justice. Pour cela, on doit passer par la caste 0. Même les gens de caste élevée doivent le comprendre.
C'est étrange mais ce procès m'a fait beaucoup réfléchir sur la justice et m'a donné envie de m'investir plus dans la politique de l'état. Ces derniers jours, j'ai eu vraiment peur pour ma caste 0. Dorénavant, je veux me battre pour elle et réfléchir aux meilleurs  moyens de rétablir l'équité à Illeà. En tout, je suis plutôt fière du petit effet produit au procès.
La matinée et le repas de midi sont passés, et je suis actuellement en train d'en reparler avec Lena, Clémence et Neena.
- Comment avez-vous su qu'il était de caste élevée ?, me demande Lena. S'il avait été un 5, votre jugement aurait paru fade...
J'esquisse un sourire.
- Il ne pouvait être que de caste élevée. J'ai des amis qui sont de caste 6 et crois-moi : ces gens sont aussi victimes que ceux de caste 0.
En disant ça, je repense à mon ancienne patronne et à son manque de contrat causé par le fait qu'elle ait simplement engagé une caste 0. Si elle avait été une 3 ou même une 2, ça ne se serait pas passé comme ça car elle aurait eu les moyens d'engager une véritable employée à la place d'une simple aide dont le salaire est versé par l'état. Un riche ne peut pas ressentir le besoin d'une meilleure justice, il n'en a aucune conscience.
Les filles et moi discutons encore quelques instants. Puis je finis par me lever
- J'ai besoin de bouger un peu, je dis. Je vais me balader.
Les filles me saluent de quelques sourires amicaux quand je quitte le boudoir. Je ne sais pas vraiment où aller encore. J'en ai juste un peu marre de rester assise. Et puis avec toutes ces inquiétudes, ces bouleversements qu'ont créés ces histoires de discrimination anti-caste 0, je suis de moins en moins active en ce moment. J'ai vraiment besoin de me réveiller et de me dérouiller maintenant.
En marchant, il me vient l'idée de rejoindre la salle aux miroirs. Avec tout ça, je ne l'ai pas beaucoup vu. Je suis tout de même sortie un peu la nuit avec Maxime et Joshua, mais nous sommes beaucoup restés dans la bibliothèque et la salle de projection. Je devrais proposer à Maxime un petit concours de glissade dans la salle de bal pour ce soir, ça me manque.
En me promenant un peu au hasard dans le palais, je passe devant une porte que je commence à bien connaître : c'est le bureau du roi Maxon. 
Sauf que quand je passe devant... j'entends deux voix féminines : Celles de la reine et celle de Valentine !
- ... bien réagi. Je pense que c'est encourageant.
- Je suis d'accord. Tu ne crois pas qu'il faudrait envoyer des gardes nous faire un rapport sur le ressenti général ? Il faudrait se tenir au mieux au courant de l'avis du peuple après ce procès, non ?
Je m'arrête net.
Est-ce que c'est moi ou est-ce que la reine est en train de demander conseil à Valentine sur l'envoi de garde pour recueillir les avis du peuple ?... En quoi ça la concerne ?
- Oui, je vais en envoyer. Si les avis se sont même très légèrement positivés, j'aimerais creuser cette piste. Mettre la lumière sur les inconvénients que l'on supprime plutôt que sur les avantages nouveaux qu'ils ne voient même pas.
Je crois que je rêve... Valentine est totalement en train de parler comme si elle était la conseillère officielle du roi. Comme si elle gérait les affaires d'État.
Mais attends... « Je vais dire à mon père que ça suffit ; tu ne peux pas tout gérer. Pas toute seule ». Ce sont les paroles mêmes de Joshua…

La nuit même, alors que je dois aller retrouver Maxime, une idée me trotte dans la tête. Je trottine dans les couloirs du palais dans mon pyjama lavande en prenant garde de me faire discrète, quand soudain...
- BOUHHHH !!!
Je sursaute.
- Maxime ! Espèce d'espion à la gomme ! Tu m'as fait peur.
Le petit prince explose de rire.
Je me ressaisis, amusée, en levant malgré tout les yeux au ciel.
- Joshua nous rejoint dans la salle de bal ?, je demande.
Maxime secoue la tête avant d'annoncer :
- Il ne va pas pouvoir venir tout de suite. Il est en grande discussion avec papa.
Avec le roi ? Je fronce les sourcils.
- Ils parlent de quoi ?
Maxime s'esclaffe :
- Hé ! T'es bien curieuse toi !
J'esquisse un sourire. Il a raison mais je ne peux pas m'en empêcher.
- Non mais en vrai j'en sais rien.
Je hoche la tête à cette réponse que me sert Maxime. Puis je balaie l'air de la main comme pour dire « pas grave ». En même temps, je me dis que l'absence de Jojo serait peut-être l'occasion pour moi de parler un peu plus sérieusement avec le petit diable.
- Heu Maxime..., je commence un peu hésitante.
- Toi, tu as besoin d'un p'tit gars aussi doué que moi !, me coupe-t-il en voyant mon expression un peu gênée. Vas-y, dis-moi qui je dois aller tuer pour toi !!
J'éclate de rire. Maxime est génial ! Je me lance alors :
- Personne. Je voulais juste te demander si... enfin Valentine. C'est à dire que je me demandais si elle venait souvent dans le bureau de ton père ces derniers temps. Tu dois savoir quelque chose non ?
Oula... J'espère qu'il va comprendre ma question parce que je me rends compte que je l'ai tellement mal formulée ! Mais je ne savais pas comment lui demander.
Maxime fait une mimique bizarre.
- C'est une drôle de question ça... Et puis t'avais pas promis à Jojo de ne pas poser trop de question sur Valentine ?
Je baisse la tête.
Il est vrai que quand il m'a dit - il y a maintenant un bon bout de temps - qu'il connaissait Valentine avant la Sélection, Joshua m'a demandé d'être patiente et pas trop curieuse à ce sujet. Je soupire après un temps de silence.
- Bon. Je sais... Je suis incorrigible ! Je n'arrive pas à réfréner ma curiosité. Je ne veux pas lui causer de tort je le jure... C'est juste que... elle m'intrigue depuis longtemps. Et puis... Tu sais qu'elle est venue me voir pendant la nuit il y a quelques jours ?
Le sourire que Maxime avait s'efface d'un seul coup.
- Pardon ?!
Je serre les lèvres. Je ne voulais pas lui dire mais ça m'a échappé.
- Et bien, c'était la nuit avant le pique-nique dans le parc tu sais. Elle voulait s'assurer que je ne ferais pas souffrir Jojo.
Maxime lève les yeux au ciel, comme si le comportement de Valentine l'exaspérait.
- Pfff... Elle devient de plus en plus folle ! C'est de pire en pire depuis que papa lui a confié...
Soudainement, il se tait.
- Quoi ? Lui a confié quoi ?
Maxime secoue la tête avec un air plus grave que je ne lui connais habituellement.
- Tu sais, je ne suis pas censé t'en parler... Ce n'est pas...
Je le coupe :
- C'est si grave que ça ?
Il hésite et finit par répondre :
- Ce n'est pas quelque chose qui devrait se savoir d'après ma mère. Elle ne veut inquiéter personne.
Sans le brusquer, j'attends qu'il continue :
- Tu n'as pas remarqué que papa n'est pas très souvent à son bureau ces temps-ci ?, me demande-t-il.
Je baisse la tête. Je déteste quand le roi Maxon est impliqué dans ce genre d'histoire. D'après moi, c'est toujours mauvais signe. Je sais qu'il prend souvent contact avec ma mère. Je l'ai même surpris chez Marlee il y a quelques jours. Je sais aussi que depuis la Sélection, il est devenu bizarre. Voire même - d'après ses propres fils - parfois insupportable. Et en effet, je n'ai pas l'impression de le voir beaucoup travailler.
- Et alors ?, je finis par demander.
Maxime ne me répond pas tout de suite. Il se tortille un peu sur lui-même et rougit légèrement. Je ne l'ai jamais vu aussi mal à l'aise. On dirait qu'il a honte de ce qu'il va me révéler...
- Et bien..., commence-t-il. On peut dire qu'il y a une raison à ça. En fait, depuis le début de la Sélection, papa a très peur, mais vraiment très peur, que tout ne se passe pas comme il le faut. Il veut tout contrôler... Il en devient même pénible. Il a imposé à Joshua de s'impliquer pleinement dans les événements de la Sélection. Et pour pouvoir s'y consacrer entièrement avec lui, papa a... "abandonné" ses autres devoirs politiques. Il les a secrètement délégués aux deux personnes ici ayant assez de connaissance politique pour faire du bon travail, et surtout en qui il a pleinement confiance : Ma mère. Et Valentine.
- Déléguer ses devoirs de monarque à la reine et à Valentine... Attends, laisse-moi bien comprendre...
Maxime explicite ses révélations, me faisant prendre conscience de l'importance de la situation :
- Et ben maintenant, les pouvoirs et responsabilités du roi, ce sont elles qui les ont. Enfin, c'est surtout Valentine qui les porte. Ma mère l'aide, mais après tout elle était déjà reine avant, elle aidait déjà mon père, donc ça ne change pas grand-chose pour elle. Disons qu'avant elle aidait papa, maintenant elle aide Valentine.
Après un petit silence, il reformule :
- Donc officiellement le roi c'est mon père, Maxon. Mais techniquement c'est plutôt Valentine qui fait office de « roi » maintenant. C'est elle et ma mère qui s'occupent de toute la politique, les questions des castes, les problèmes de commerce et de relations internationales. Mon père ne s'occupe plus de tout ça...
Quoi ?... Mais c'est... n'importe quoi. Pourquoi ?
- Mais c'est lui qui devrait s'occuper de ça ! Qu'est-ce qu'il lui prend d'abandonner ses devoirs ainsi ?! Et pourquoi avoir choisi Valentine ?
Maxime baisse à nouveau la tête.
- Valentine connait la famille depuis longtemps. Quand on était petit, Joshua a demandé à ce qu'elle suive les cours de royauté avec nous vu qu'on était ami. Du coup elle est assez calée pour ne pas faire de bêtise et "régner" correctement. Et à la question du pourquoi il a fait ça et bien, je réponds : Sélection. Papa veut gérer la Sélection de façon presque... Disons qu'il ne veut s'occuper que de ça pour être sûr qu'elle se passe bien. Que personne ne fasse d'erreur.
Je pense que Maxime voulait dire « presque maladive », mais prononcer ce mot aurait sans doute été trop fort pour lui. Trop grave. Et en effet, que le roi semble à ce point avoir peur que la Sélection ne soit pas parfaite - mais sous quels critères ? Je n'en sais rien - cela ressemble à une véritable phobie. D'où cela lui vient-il ?
Alors que je ne dis plus rien. Maxime clos la discussion sur un ton amère dont je me souviendrai toute ma vie :
- Bref... Je veux plus en parler.

Trois jours ont passés depuis la révélation de Maxime. Et je n'en ai toujours pas reparlé ni au petit diable, ni à Joshua - qui ne sait absolument pas que je suis au courant - ni à Valentine. Là ok... Cette histoire me dépasse peut-être...

Enfin en conséquence, la vie reprend son cours. Valentine paraît toujours assez fatiguée, mais quand Clémence me propose d'aller lui demander clairement ce qu'elle a, je refuse catégoriquement. Pour moi, ce n'est plus seulement une question de curiosité. Je ne sais pas ce qu'il se passe dans la tête du roi Maxon pour avoir délégué secrètement ses pouvoirs de monarque à Valentine, mais je comprends que ce n'est pas vraiment une bonne chose. Et surtout, ce n'est pas une histoire à laquelle je dois me mêler ! Si les journalistes l'apprenaient... - je n'ose même pas imaginer le scandale ! Ni les réactions outrées du peuple !
Par ailleurs, je commence à ressentir justement qu'une tension s'installe entre le peuple et la famille royale. L'attaque de la caste 0, et maintenant Maxon qui veut régler au grain la Sélection, quitte à négliger son véritable rôle de monarque, comme s'il avait peur que le peuple lui saute dessus au moindre pas fait de travers dans cette compétition...
- Quelque chose vous préoccupe Mademoiselle ?
La question de Laurette, ma camériste, me sort de mes pensées.
- Heu non. Je réfléchissais seulement à la robe de ce soir.
Ce soir, Joshua a prévu cinéma pour tous. Cette idée, nous l'avons eu ensemble avec Maxime. Depuis que Jojo et moi sommes "en couple non officiel", Jojo appréhende toujours de devoir prendre des rendez-vous individuels avec une Sélectionnée. Sauf que les idées d'activité de groupe commencent à manquer. De plus, j'ai peur que cela finisse par lasser les autres candidates.
- Vous avez changé d'avis ?, me demande Laurette en revenant à la robe que j'y porterai. Ce mauve bleuté vous va pourtant très bien miss.
Je secoue la tête.
- Non, la robe me plaît ce n'est pas ça ! Au contraire, je me disais que les autres auraient de quoi être jalouses !
La petite moue déçue qui avait commencé à pointer sur le visage de ma femme de chambre disparaît aussitôt à ces paroles.
- Super Mademoiselle ! Je me dis la même chose.
Comme je ne veux pas que ma femme de chambre s'aperçoive qu'autre chose me préoccupe, je change de sujet et lui annonce, mine de rien :
- J'aimerais passer un peu de temps au boudoir avant la soirée. Je reviendrai une heure avant pour me préparer.
Laurette rétorque gentiment :
- Bien mademoiselle. Mais revenez au moins une heure trente avant si vous voulez que moi-même et Loane ayons le temps de vous faire cette coiffure haute dont nous avons parlé hier.
J'approuve par un signe de tête et un sourire avant de reposer le collier lourd mais très beau que Laurette m'avait fait essayer pour le soir. Ainsi que quelques pinces restées sans utilité dans mes cheveux.
- A tout à l'heure alors, je conclue en me défilant.
D'un pas décidé, je me dirige alors dans le couloir qui mène au boudoir. J'espère sincèrement qu'il n'y aura personne. J'ai envie d'être un peu seule.

La Sélection de Victoria (T2) - Confidences Où les histoires vivent. Découvrez maintenant