Piano - Nagi Seishiro

184 15 17
                                    


L'escalier C3 du collège était un endroit qui restait le plus souvent méconnu de la majorité des personnes arpentant les couloirs de l'établissement. Encastré au fond d'un couloir peu fréquenté, il desservait un couloir où deux salles de classe inutilisées avaient été oubliées par la casi totalité des enseignants ainsi que des sanitaires qui bien qu'en parfait état n'avait pas été utilisées depuis des lustres. C'était donc un endroit parfait pour qui rêvait de tranquillité.

Assis sur les marches ce même escalier C3, Nagi Seishiro s'ennuyait ferme. Ayant fini le jeu vidéo qui l'obsédait depuis une bonne semaine, il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire en attendant la fin de la pause méridienne. Tandis qu'il retirait son casque, de petits sons étouffés vinrent titiller son ouïe. N'ayant rien d'autre à faire, il partit sur leurs traces. Les notes de musique semblaient venir de l'étage du dessous. Cependant, cette partie du bâtiment n'était elle pas censé accueillir une salle de réunion ?

Alors qu'il se demandait si y aller en valait vraiment la peine, les notes éparses se muèrent en une mélodie plus structurée.

Mi

La, Si, Do, Ré, Mi

Do, Mi

Do, Mi

La, Do, La, Fa, Do, La

Sans plus tergiverser, il se mit à descendre, l'oreille tendue. Enfin arriver au rez-de-chaussée, le son semblait provenir de derrière une porte coupe-feu entrouverte. Se glissant dans l'interstice, le footballeur découvrit l'origine de la musique. Assise devant un piano de bar accoudé au mur, son sac posé aux pieds de sa chaise, une fille jouait son morceau, les yeux fixés sur le mouvement de ses doigts. Elle ne semblait ne pas l'avoir vu, aussi, s'assit il le dos au battant de la porte, là ou elle ne pourrait pas le repérer.

Jusqu'à ce que la sonnerie ne tinte, il écouta l'inconnue enchaîner les fausses notes, persévérant sur son court enchaînement. Quelques jours passèrent avant que ce moment ne revienne à Nagi, et il en fallut encore quelques autres avant qu'il ne décide de retourner voir si la musicienne jouait encore.

Comme la fois précédente, il la retrouva face à l'instrument, et de nouveau, il s'assit pour l'écouter. Sa mélodie commençait comme la dernière fois, seulement une nouvelle partie commençait à s'ajouter à la première. Le téléphone de l'artiste donnait au spectateur une idée du rendu.

La, Si, Do, Re, Mi, Fa, Sol

Fa, Mi

Fa, Sol, La

Sol, Fa

Sol, La, Si

La, Mi

Là où la première ritournelle était très proche du mélancolique, mais restait motivante, la deuxième était d'une pure et néanmoins magnifique tristesse. Malheureusement, l'artiste n'eut pas le temps d'aller très loin sur ce dernier, que la chanson bien moins agréable du collège résonna depuis les enceintes.

Au fil des jours, Nagi se surprit à venir de plus en plus écouter les progrès de la pianiste. Cependant, elle semblait avoir beaucoup de mal à jouer cette nouvelle mélodie. Une note, continuellement la même sonnait faux, comme si la touche frappée touchait la vide avant de produire un maigre couinement. Nagi avait bien remarqué que ce problème n'était pas isolé et beaucoup de rectangles monochromes ne donnaient pas le son qui leur était prédestiné, mais cette fois plutôt que d'être enrouée la corde du piano semblait avoir été dépossédée de sa voix.

Au moment où le collégien se demandait comment sa musicienne allait se dépatouiller, - comme elle l'avait toujours fait - un énorme fracas se fit entendre. Prestement, Nagi se redressa pour voir si tout allait bien pour celle qui occupait ses midis, et un peu plus...

Debout, elle était penchée, tenant le couvercle du piano et regardait dans ses entrailles. L'observateur comprit vite qu'elle tentait de faire bruiter la touche défectueuse, seulement son bras était trop court pour, et soutenir le panneau de bois, et atteindre son objectif, de plus que ses cheveux ne cessait de retomber de derrière son oreille pour lui brouiller la vue.

Flemme ? Ou bien non ?

De toute manière, je me suis levé, autant aller l'aider.

Franchissant la porte qui les avait jusque-là séparé Nagi s'épancha d'un " salut " avant prendre place aux côtés de la musicienne.
Si elle fut surprise elle n'en montra rien et se contenta de lui sourire doucement.

Frôlant sa main, il récupéra le battant boisé, la laissant libre de faire tinter la touche problématique. Ainsi faisant, le son creux se fit entendre alors que dans les fondations du piano le marteau correspondant frappait dans le vide.

Après plusieurs essais et comparaisons le résultat ne devait pas plaire à la joueuse, car ses sourcils s'étaient froncés et elle marmonnait, les yeux dans le vague.

- C'est vraiment handicapant ?

- Je ne m'y connais vraiment pas assez. Dans tous les tutos que j'ai pu trouver, ils passent par cette note.

- Et tu ne peux pas la trouver ailleurs ?

- Non, elle ne serait pas pareille, tout sonnerait trop aigue ou alors... Plus grave !

Se rasseyant, elle commença le morceau.
L'habituel début, sonnait toujours aussi doux sous l'assaut leste de ses doigts. Une fois, transition, deux fois, et alors commençait l'aria lugubre, plus sombre que jamais auparavant. Sous les lentes et précises caresses de la pianiste, le son se mua en une plainte, un requiem, mélancolie d'un temps révolu.

Plus près qu'il ne l'avait jamais été, Nagi sentait la symphonie emplir son être et le faire frissonner. Ce n'était pas conforme à la partition originale, c'était une adaptation tout aussi poignante mais surtout bien plus personnelle. Et celle qui faisait vibrer son être d'une telle manière était là, à un pas, sans même qu'il ne connaisse son nom.

Le final arriva, reprenant le premier thème, seulement la musicienne le joua avec lenteur - qui ne dénaturait rien à l'œuvre -, comme si elle ne souhaitait pas que cet instant ne se close.

Seulement, toute merveilleuse chose à une fin, et l'interlude de cette parenthèse onirique n'échappa pas à cette règle. L'ultime Mi résonna longtemps dans le silence du couloir.

Ni elle, ni lui ne surent que dire, le silence chanson à part entière, alors que les deux se souvenaient de respirer.

- C'était beau.

- Comment t'appelles-tu ?

- Nagi Seishiro

- Eh bien, tu en as mis du temps pour venir, Nagi.

Sur cette phrase et le sourire aux lèvres, elle referma le clapet du piano puis le cacha d'un drap. Enfin, sans se départir de son air radieux elle s'avança dans le couloir et se retourna.

Il la suivit sans se poser de question.

















----------------------

La musique est le carrefour des âmes.

Ôde Rose - Recueil d'OSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant