𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 8 : 𝑬𝒙𝒕𝒓𝒂-𝒎𝒖𝒓𝒐𝒔

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Une foule dense s'était attroupée tout le long de l'avenue principale qui découpait Trost d'une porte à l'autre. Les regards se bousculaient, zieutaient, jaugeaient l'imposant convoi de chevaux, charrettes et soldats qui progressait vers l'autre bout de la cité. La rumeur d'une protestation parcourait les civils, à peine plus forte que les claquements des fers à cheval sur les pavés.

"Encore une...
— Dire que nos taxes partent là-dedans...
— Toujours aucun résultat...
— Après l'hécatombe de l'année dernière, on se demande comment ils recrutent encore...
— Il faudrait le reboucher, ce mur...
— Profane...
— On parie combien que la moitié ne reviendra pas ?..."

J'essayais de ne pas croiser les regards de ces passants qui nous toisaient sans vergogne. Il n'y avait pas si longtemps, j'aurais été de leur côté de la rue. Mais plus nous nous rapprochions de la porte extérieure, plus je sentais leurs attentes insoutenables peser sur mes épaules.

J'avais envie de disparaître. Ma tête s'effaçait dans mes épaules, les yeux rivés au sol. Je ne comprenais pas comment les soldats pouvaient rester fiers et droits dans leurs bottes lorsque la population qu'ils étaient censés servir ne leur vouait que rancœur et mépris.

Ils n'avaient pas vraiment tort. Le bataillon causait de nombreuses pertes humaines et économiques à chaque expédition, sans jamais apporter de preuve de leur utilité. Je ne pouvais nier cette évidence. Si ce n'était pas pour Logan, jamais je n'en serais venu à apporter mon soutien à leur major. Soutien duquel il devrait se passer s'il venait à m'arriver quelque chose ce jour fatidique, puisqu'il m'avait laissée sans indication spécifique aux mains d'Uma. Il m'envoyait parmi ses troupes avec un entraînement encore bancal, et ne paraissait pas plus préoccupé que cela à cette idée.

À mes côtés, la brune paraissait dans son élément. Raide comme un piquet, la mâchoire serrée, le menton haut et le regard digne. Elle rayonnait par sa présence implacable, défiant quiconque de l'humilier. Pour la première fois, une vague admiration me saisit à la vue de cette confiance parfaite en ses choix et ses valeurs.

Les yeux noirs captèrent mon observation, et elle haussa les sourcils.

"Tout va bien ?
— Ça pourrait être pire. J'ai juste mal au ventre."

Depuis les premières lueurs du jour, une douleur viscérale me tordait les boyaux, qui me lançait de plus en plus au fil des heures. Mon aveu lui tira l'ombre d'un sourire, presque imperceptible.

"C'est le trac, ça. Respire. Je serais là si les choses tournent mal."

Cette promesse apaisa un peu ma nervosité, mais pas assez pour chasser mes maux d'estomac. Une nausée acide me remontait dans la poitrine depuis notre entrée dans Trost. Je grimaçais une petite mine reconnaissante pour faire bonne figure.

Le cortège équestre s'arrêta en fils dans une chorégraphie parfaitement orchestrée. Nous fûmes tous englobés dans l'ombre dense du mur qui nous faisait face. Immense, massif, gigantesque. La pierre lisse semblait monter jusqu'aux cieux, à en cacher le soleil de la mi-journée.

J'avais oublié ce sentiment. Se tenir au pied d'une de ses constructions monumentales me rappelait la fragilité de l'échelle humaine. Nous pouvions nous sentir enorgueillis d'avoir pu bâtir ces remparts pour nous protéger de la menace des titans, mais je ne ressentais qu'un profond sentiment de malaise et d'angoisse. Vu d'en haut, nous ne serions qu'une foule d'insectes minuscules, insignifiants, grouillant et luttant pour leur courte survie dépourvue de sens. Rien de plus.

De soudaines détonations résonnèrent dans la cuvette murée. Je me tendis imperceptiblement. Trop graves et intenses pour être de simples coups de feu, leurs vibrations traversaient sinistrement chaque bâtiment.

𝐂𝐡𝐫𝐨𝐧𝐢𝐜𝐥𝐞𝐬 𝐨𝐟 𝐙𝐢𝐚 || 𝐿𝑖𝑣𝑎𝑖 𝑥 𝑜𝑐Où les histoires vivent. Découvrez maintenant