9- Eywa ngahu

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Eywa ngahu signifie qu'Eywa veille sur toi. C'est une expression qui signifie un simple au revoir pour beaucoup de personnes mais moi, j'entend cette salutation d'une oreille bien plus sensible. Pour moi c'est un adieu, ou alors un au revoir plein de culpabilité. « Je t'abandonne, mais je ne suis pas un monstre alors Eywa ngahu ». C'est trop simple, beaucoup trop facile de faire de la peine à une personne puis prononcer ces mots comme s'ils allaient te donner eux même le pardon, comme si ils annulaient toutes les mauvaises actions, toute tristesse, qu'ils te protègeaient réellement. Or, les mots ne servent à rien, les actes par contre. La question est donc : doit-on attendre les bonnes actions de quelqu'un pour lui pardonner, ou doit-on avancer sans regarder en arrière, au risque de passer à côté du bonheur, d'une possible rédemption ?

Tsireya et moi étions allongée sur le sable de la plage où j'avais parlé avec Lo'ak quelques jours plus tôt. Tous les jours nous entraînions les Sully toutes les deux, quelquefois rejoints par Aonung et Rotxoun. Ils apprenaient très vite, chaque jour ils passaient plus de temps sous l'eau, ils allaient de plus en plus vite aussi et guidaient de mieux en mieux leur Ilu. Neteyam apprenait très vite et battait tous les records, Lo'ak était perfectionniste mais se décourageait trop souvent, heureusement que Tsireya était là pour le motiver et Kiri elle m'impressionnait toujours un peu plus chaque jour. Elle avait presque tout appris seule. Dès que le soleil commençait à se lever elle partait nager et ne revenait qu'en début d'après-midi. Tuk, elle, apprenait doucement mais sûrement, elle était encore jeune et avait tout son temps pour se perfectionner.

-Il a réussi à aller chercher le coquillage à cette profondeur environ tu te rends compte ! S'exclama Tsireya en me montrant le fond de l'eau visible à l'œil nue grâce à l'eau transparente de la mer.

Elle m'avait proposé de sortir un peu nager avec elle et j'avais accepté sans broncher, contente de pouvoir être un peu seule avec elle. Elle me parlait de Lo'ak depuis quelques minutes déjà avec un sourire niais sur le visage et les yeux qui pétillaient. Je me mis à rire devant sa tête complètement absurde.

-Quoi ? Me demanda-t-elle en me regardant comme si j'étais folle.

Lorsque je m'arrêtai de rire pour la regarder dans les yeux elle me regarda d'un air coupable. Elle l'aimait bien j'en étais persuadée, tout le monde l'était d'ailleurs, c'était tellement flagrant.

-Je ne sais même pas pourquoi je l'apprécie tant, m'avoua-t-elle, on est comme, connecté, il m'apporte du changement et j'imagine que je lui apporte de la sérénité, finit elle dans un souffle, comme perdu dans ses pensées.

Je détestai parler de garçons, de sentiment, d'histoire d'amour et autre. Je n'étais pas du tout une conseillère recommandée dans ces situations. Un jour, après que Tsireya m'avait raconté son faible pour un Metkayina, je lui avais conseillé de s'éloigner car il allait lui briser le cœur. Elle m'avait crié dessus en retour en disant que je ne pourrais jamais comprendre car je ne savais pas ce que c'était d'aimer quelqu'un. Outre le contexte extrêmement ridicule, ce qu'elle m'avait dit ce jour-là était encore imprégné dans mon esprit, sans mentir, il y avait une part de vérité et une part de mensonge. Je ne pouvais pas la comprendre, mais pas forcément parce que je ne savais pas ce que c'était d'aimer, j'ai beaucoup d'affection, même trop, pour certaines personnes, par contre je ne savais pas ça que c'était d'être aimé. Alors j'étais toujours perdu entre mon envie d'être aimé et ma peur d'être aimé.

-J'ai tout le temps envie de le voir, reprit-elle, je le trouve vraiment courageux.

-Dégoûtant, dis-je pour qu'elle s'arrête tout en tirant la langue.

-C'est vrai que c'est dégoûtant la façon dont tu regardes Neteyam, s'écria-t-elle en rigolant.

-Je ne comprends pas, dis-je en vérifiant que personne ne l'avait entendu.

TsaheyluOù les histoires vivent. Découvrez maintenant