CHAPITRE 8 : Orkturnin, le déclin des Puissants 5/6

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Tempo pénétra sans délicatesse dans le Smedja ar' Mjollnir. Fehu disposait les couverts sur chaque table avec soin et amour. Il avait pressenti son arrivée et ne daigna pas lever les yeux vers son visiteur tant il trouvait son irruption des plus impolies. Surtout venant de Tempo, lui si mielleux et déférent à son habitude. Fehu avait mauvais caractère pour qui le prenait dans le mauvais sens du poil, il mordit l'intérieur de sa joue pour ne pas lancer une pique bien méritée à l'Arcane de la Raison.

— Où sont-ils ? demanda ce dernier, direct.

— Bonsoir, Tempo. Comme tu me le demandes, je vais très bien et suis assez occupé. Ce soir, mes élèves mages-Forge viendront clôturer le solstice dans mon établissement. Merci de t'en inquiéter, s'effaroucha Fehu.

— Toujours aussi susceptible, tu ne changes pas. Où sont-ils allés ?

— Et toi, tu n'as pas l'air dans ton assiette. Tu nous as toujours pris de haut, mais tu t'es toujours efforcé de nous montrer ta grandeur et ton calme. Je te retourne donc la question : où est passé Tempo, l'Arcane de la Raison ?

— Très drôle, mon frère. Aurais-je une réponse ou dois-je te l'arracher ?

Fehu crispa ses mâchoires et passa à une autre table.

— Du calme, du calme. Garde ton agressivité. Je vois bien que tu n'es pas toi-même. Donne-moi plus d'informations pour que je puisse avancer une explication ? nargua le forgeron.

Tempo laissa traîner son doigt sur une desserte isolée et l'inspecta avec dégoût en quête d'une poussière.

— Gwendall t'a-t-il visité ? réitéra-t-il.

Le forgeron se grandit et croisa les bras tenant toujours fermement les fourchettes et couteaux dans ses grosses mains.

— Oui. C'est tout ?

Son frère claqua des dents.

— Tu sais bien que non. Était-il accompagné ?

Fehu, de plus en plus contrarié, n'appréciait pas le ton pressant de son interlocuteur.

— Oui, de sa sympathie, contrairement à toi. Je lui ai même offert une bière et il est reparti. Je ne t'en proposerai pas, tu ne mérites pas ma générosité.

— Ça tombe bien, je n'en voudrais pas. Ta gueuze est bonne à vomir. Personne n'ose te le dire en face.

— Tu viens de le faire. Les Arcanes ne l'aiment pas, mais d'autres s'en accommodent bien, répliqua-t-il.

Fehu rejoignit son bar et se servit un verre de mousseux alfique, l'alcool de pomme était une spécialité d'Alfheim dont le moelleux sur le palais réconfortait tout mécontentement.

Tempo s'installa face à lui, débout et raide, il l'observait avec insistance. Alors le forgeron s'enquit :

— Je te sers un cidre ? Je vois bien que ça ne va pas. Parle-moi, nous ne sommes pas proches, mais je sais écouter.

Tempo se balança sur ses jambes.

— Tu me mens, je le sens. Il était accompagné et il a fui avec son hôte. Pourquoi les couvres-tu ? Je trouverai le moyen de te faire parler.

Fehu conclut qu'il ne voulait pas boire, ou se délester du poids qui lui pesait. S'il ne prenait pas la main qu'il lui tendait, autant retourner à la Tour et le laisser tranquille, s'occuper de ses élèves. Il avala goulûment une lampée de son cidre avant de définir les limites avec lesquelles son frère jouait :

— Ma patience s'épuise, Tempo. Tu viens sous mon toit, me menacer. Je reste courtois avec toi, te propose à boire et une oreille que tu refuses sans délicatesse et réitères tes offenses. Je dois te demander de partir.

Il gonfla le torse et sa barbe s'ébouriffa. Face à lui, son frère eut un rictus mauvais.

— Tu crois me faire peur, minable, avec tes sorts ridicules et tes armes enchantées par une magie mensongère.

— Dehors ! Tu n'obtiendras rien de plus, et tu n'es plus le bienvenu, tonna le maître des lieux.

L'odeur du fer que l'on bat se propagea, l'atmosphère crépita de scories effervescentes, alors que les veines sur le font de Fehu palpitèrent d'une colère qui ne se contiendrait plus pour longtemps. Il retenait le feu de sa magie qui menaçait de lâcher sur son frère : la chaleur destructrice du Forgeron. Dans son coffre secret à l'étage vibrait déjà son marteau magique, cadeau des Dweorggs.

Tempo pressentait la fureur de son frère, mais il était persuadé qu'il lui cachait bien plus qu'il le pensait et il désirait risquer de l'affronter, sous son propre toit.

Soudain, les battants de cerisier du hall d'entrée s'ouvrirent dans des éclats de joie et de bonne humeur, un groupe d'élèves mages-Forges firent irruption.

Lorsque Fehu avait annoncé s'isoler dans le village d'Örkturnin, jamais Tempo n'avait imaginé qu'il en ferait le site d'apprentissage d'une nouvelle forme de magie. L'Arcane du Forgeron avait élaboré toute une doctrine unique qui alliait les capacités magiques des runes alfiques, de l'artisanat runique dweorgg et des sortilèges des Arcanes. De longues années d'études et de remise en question et pour aboutir à une université qui accueillait les mages, d'horizons divers, désireux d'apprendre l'art de la forge magique.

Les élèves de tout âge provenaient pour la plupart de la noblesse alfique, rares étaient ceux qui naissaient avec le don et encore plus, ceux qui étaient capables de recevoir l'enseignement de Fehu.

Au pied de la tour, l'unique forge brûlait jours et nuits, projetant dans le ciel nuageux, un halo rougeoyant que beaucoup d'ignorants appelaient les feux de la Tour. Ces idiots pensaient même qu'on y brûlait les dissidents ou rebelles s'étant attiré la colère des protecteurs d'Yggdrasil. Un mythe qui laissait Tempo perplexe quant au discernement des peuples qu'il servait. Il toisa les futurs mages-Forges, sa lèvre supérieure se crispa de dédain puis il se dirigea, arrogant, vers la sortie. Avant de quitter l'auberge, il laissa une dernière phrase troubler son frère :

— Les temps changent. Prends garde à rejoindre le bon navire, lorsque l'heure de reprendre les flots viendra.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant