CHAPITRE 2 : Yggdrasil, le murmure du passé 2/7

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FABIOLA

Fabiola se réveilla comme une fleur. La nuit avait été paisible. Elle avait dormi d'un sommeil serein et sans rêve. Fait étrange, car ses songes se remplissaient d'action, de danses et de fêtes. Cela l'inquiéta. Un instant seulement.

Le doux soleil d'Yggdrasil chauffait sa peau, éloignant l'étrange sensation. Les rais tièdes de l'astre du jour l'attisaient, l'inondaient d'une énergie vivifiante. Elle étira ses bras délicats et joua avec les faisceaux dorés et se délecta de leur soyeuse caresse. Bien éveillée, elle quitta sa couche de nénuphars, et d'un saut, elle rejoignit la rive de l'étang où elle résidait.

Fabiola n'était pas une nymphe comme beaucoup le pensaient, même si elle vivait autour de la mare et prenait soin de ses occupants. Elle appartenait au petit peuple des Kréturs, tous au service des Alfes depuis la Grande Guerre.

Comme tous les jours, elle surveillait l'activité autour de l'édifice sans âge. Fabiola ressemblait à une adolescente, à peine à une adulte, et pourtant elle venait de fêter son troisième millénaire. Elle ne se souvenait pas de la date exacte de sa naissance et s'en souciait peu, elle ne connaissait pas ses parents et supposait que son grand-oncle adoptif disait vrai lorsqu'il affirmait que Fabiola était née dans une perle de mana, un beau soir de solstice.

Pas plus haute qu'une grenouille la plupart du temps, elle pouvait se grandir à l'égal d'un Alfe — comme lorsqu'on la convoquait à la cour du roi et de la reine d'Alfheim. Ce qu'elle détestait.

Elle se rafraîchit les joues et la nuque, se leva avec grâce et dans un craquement sourd, disparut en un clin d'œil pour se retrouver face à l'Arche.

Rien, comme depuis un millier d'années, il ne se passait rien.

La pierre, recouverte d'une délicate mousse verte, accueillait une myriade de petites fleurs grasses, blanches et bleues. La végétation retombait de-ci de-là, comme un rideau grossièrement découpé trop court. Une grosse rune marquait chaque moellon. Fabiola se demandait souvent si un jour elle avait su leur signification.

Elle se pencha sur la surface de la mare qui mouillait les massifs piliers de roches. L'eau cristalline refléta à merveille son joli visage. Elle possédait toutes les caractéristiques de son espèce : un nez espiègle, des yeux rieurs et une peau d'un brun ocre qui tirait au bronze sous le soleil. Ses lèvres s'élargissaient en un sourire qu'on ne savait dire s'il était de bon ou de mauvais augure. Ses yeux en amande, noirs comme le cosmos, reflétaient une éternité où le passé, le présent et le futur se mêlaient. Vêtue de pétales de lotus blancs attachés les uns aux autres par de l'herbe séchée, Fabiola affichait sans pudeur ses interminables jambes musclées, nues de la hanche au pied.

Elle contemplait ses longues oreilles frétillantes depuis un petit moment déjà quand tout à coup, l'Arche vrombit. Fabiola leva la tête surprise. Avait-elle rêvé ? Les runes émettaient une lueur bleutée croissante. Entre excitation et panique, Fabiola fila.

*

La petite Kréture n'avait visité le Palais Lumière que deux fois sur toute sa longue vie. Lors de la fin de la Grande Guerre et lors du mariage des souverains. Elle ne s'y rendait qu'en cas de force majeure. L'activation de l'Arche, indubitablement, en était un. En fait sur l'échelle des choses importantes, l'activation de l'Arche dominait en première position.

Elle n'avait pas pris le temps de s'habiller convenablement. Elle se maudit de n'avoir pas passé ne serait-ce qu'une simple tunique. Le regard des courtisans se montrait sévère en ce qui concernait la mode. L'apparence physique était très essentielle pour les Alfes, qui pouvaient paraître pour des êtres hautains et fiers tant ils jaugeaient les autres avec suffisance. Bien que très raffinés et à cheval sur la politesse, les Alfes pouvaient en un seul coup d'œil exprimer le peu de considération qu'ils éprouvaient envers le peuple des Kréturs.

Fabiola débarqua dans un minuscule claquement. Dans la précipitation, elle oublia de changer de taille. Elle s'égosilla pour se faire entendre avant de se rendre compte qu'elle ne dépassait pas la pomme à ses côtés. Fabiola avait atterri en plein dans la corbeille de fruits, au beau milieu du buffet.

Les Kréturs de la cour préparaient les festivités du solstice d'hiver, s'affairant dans une danse frénétique et tendue. Le roi et la reine, calmes et paisibles, discutaient de mondanités au milieu des courtisans. Seuls les Alfes de hauts rangs pouvaient faire partie de la suite royale. Les places s'obtenaient à cher prix et les manigances pour y accéder allaient bon train. Le roi dialoguait avec sa douce, la magnifique Alerina, tout en contemplant le travail des Kréturs. Tous deux se déplaçaient avec grâce, comme deux cygnes majestueux.

Sans réfléchir, Fabiola prit la taille d'un Alfe en un claquement de doigts. Provoquant l'écroulement de la pyramide de fruits sur laquelle elle reposait. Les domestiques qui se démenaient autour de la table laissèrent échapper une exclamation de surprise. Les fesses dans les fruits, assise les jambes écartées, la bouche entrouverte, Fabiola regarda les alentours, comme abrutie par la situation.

La timbale en cuivre continua de rouler sur une courte distance puis elle s'immobilisa net arrachant la Kréture à sa stupeur. Sans changer de position, elle cria de toutes ses forces :

— L'Arche brille et tremble !

Elle avait oublié le protocole, pas de « Ô roi, ô reine, père et mère des Alfes, protecteurs des Kréturs ». Elle avait simplement hurlé cette petite phrase qui ébranla les puissants d'Alfheim. Le silence total s'imposa dans la salle de réception. Personne n'osait émettre le moindre son. Mêmes oiseaux et abeilles se turent. Graves, le roi et la reine se retournèrent vers Fabiola et en chœur soufflèrent désespérés :

— Qu'as-tu dit, Kréture ?

Yggdrasil : La Bataille des ArchesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant