CHAPITRE 4 : Yggdrasil, en route vers Alfbreid 1/6

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TIM

Accablé par la fatigue, Tim peinait à mouvoir ses jambes endolories par les kilomètres parcourus. Sa démarche saccadée lui donnait l'air d'un pantin désarticulé. Il avait serré autour de sa taille sa parka militaire. La sueur collait sa combinaison à sa peau. Il fouilla sa poche pectorale. Sa montre y était toujours. Il la sortit. Les aiguilles ne bougeaient plus, elles indiquaient l'heure de sa disparition. Était-ce important ? se demanda-t-il. De connaître l'heure. Y avait-il un sens là-dedans ? Il la rangea, contrarié. Rien n'avait de sens. Encore de connaître l'heure dans une dimension qui lui échappait. Un fil ténu, soumis à contrainte croissante, tiraillait sa logique. Tim comprenait petit à petit que tout était bien réel. Se pouvait-il vraiment qu'il ait été transporté dans ce monde étrange ? Tout paraissait si authentique lorsqu'il avait traversé cette forêt de pinèdes et d'acacias, où les insectes lui rappelaient ceux volant sur Terre. Même les champs et les vergers qu'il avait croisés ressemblaient à ceux qu'il avait vus, enfant, dans les vieux documentaires que lui passait sa grand-mère. La couleur de ces oranges était originale, mais c'était bien de simples oranges, comme celles dont il avait toujours rêvé d'en croquer la chair qu'il imaginait juteuse et sucrée. Ce monde lui rappelait qu'avant sa Terre ne lui était pas si différente. À l'exception de ses habitants. Tim ne s'empêcha pas de les détailler.

Il reconnut des êtres similaires à celle qui se nommait Fabiola ; les autres, plus grands, ressemblaient à Toth. Il fixa alors le mage avec attention. Ses longs cheveux ondoyaient au rythme de ses pas, comme une cataracte d'obsidienne lisse et terriblement noire. Il était plus athlétique. Sa robe bleue outre-mer se tendait au niveau de ses épaules et de ses pectoraux. Tim devina que ce personnage s'imposait une hygiène de vie stricte pour entretenir son capital génétique. Il supposa que ce Toth pouvait facilement le dominer dans un combat à main nue. Non, le mage et ces fermiers étaient différents. Tim reposa son regard sur les hommes et les femmes déambulant dans la campagne. La nuit commençait à tomber et faisait briller leur peau diaphane, luire leurs yeux. Ces yeux, sans blanc, où juste un iris platine comblait l'orbite, le scrutaient fébrilement sans réellement le voir. Tim émerveillé par ces êtres, se fit la réflexion suivante : fantomatiques, pourtant si tangibles, étaient-ils un mirage ? Certains s'arrêtèrent de travailler pour chuchoter avec leur voisin, il ne savait quels mots.

Si tous ces êtres étaient pour lui exotiques et intrigants ; Tim, à son tour, devait générer bon nombre de questions.

« Dans quelle aventure es-tu tombé ? » pensa-t-il, de plus en plus certain de ne pas rêver.

Imperturbable, il avançait toujours avec la même détermination. Ignorant superbement les Alfes qu'ils croisèrent. Droit et noble. Pas un regard, aucun mouvement ne trahissait l'affolement qui bouillonnait dans ses veines. Le mage savait que leur groupe ne passait pas inaperçu, et qu'il suscitait bien des interrogations. Les ragots, il ne pouvait les empêcher, mais au moins, il amenuisait l'importance d'un nouvel arrivant, si différent d'eux. Il leva les yeux vers les lumières de la Cité. La nuit tombait et les contreforts du palais apparaissaient déjà au-dessus de la capitale du royaume. Bientôt, ils auraient des réponses.

— Dis-moi, Toth. Tes semblables ne cessent de nous épier. N'ont-ils jamais vu d'humains ?

Le mage arrêta de marcher et se retourna vivement vers Tim. Une lueur mauvaise glissa dans son regard, surpris et agacé. L'homme de Manheim osait le questionner aussi directement, mais surtout, il le confondait avec ses cousins. Après avoir pensé lui faire pardonner sa méprise d'une façon mesquine, il se rappela que Tim ne connaissait rien à Yggdrasil et à ses peuples. Il décida de passer au-dessus et de lui répondre.

— Ils ne sont pas mes semblables, crachota-t-il. Il se reprit et continua d'un ton plus doux. Ceux que nous croisons sont des Alfes et leurs Kréturs. Moi, je suis un Alfdar.

Toth avait mis assez de nuances pour que Tim comprenne, quand le prenant pour un Alfe, il l'avait presque insulté. Il observa la réaction de l'homme et en conclut qu'il n'avait rien saisi. Tim haussa un sourcil et hocha la tête, sans grande conviction.

— Et donc, n'ont-ils jamais vu d'humains, ces Alfes ?

— Non. Rares sont ceux qui ont encore souvenir de votre existence. Tu es d'ailleurs le premier que je rencontre.

Toth reprit la marche, troublé par le calme apparent de l'étranger. Il le trouvait bien tranquille pour quelqu'un qui débarquait dans un monde nouveau.

— Moi aussi, sifflota Fabiola. Tu es mon premier, et je vous pensais bien plus terrifiants, et beaucoup plus beaux !

Les épaules du mage tressautèrent. Les mots de Fabiola l'irritèrent, encore une fois. Il serra les dents tout en l'ignorant. Tim le soupçonna d'avoir rougi.

— Euh. Merci, s'empourpra Tim, amusé par le franc-parler de la fée.

Elle le trouvait laid, loin de se vexer, il ne savait comment prendre cette remarque.

— De rien, lui envoya-t-elle assorti d'un clin d'œil.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant