CHAPITRE 4 : Yggdrasil, en route vers Alfbreid 2/6

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Tim

Ils continuèrent leur route en silence. L'entrée de la Ville était gardée par deux immenses oliviers. Tim ne s'était jamais imaginé que ces arbres pouvaient être aussi grands. Il lui faisait penser à des séquoias. Hauts de presque cent mètres, à leurs branches pendaient de lourdes olives violines et huileuses grosses comme un melon. Au pied de chaque tronc se tenaient quatre gardes, vêtus de moire, chacun équipé d'un arc accroché dans le dos. Ils surveillaient les allées et venues des citoyens. Leur chevelure blonde, tirée en arrière dans une longue tresse, scintillait délicatement. Ils étaient stoïques et regardaient face à eux imperturbables. Tim trouva étrange que l'entrée d'une si grande cité ne soit protégée que par huit chasseurs. N'y avait-il pas de conflits ou de guerres dans ce monde ? Ni même de bandits ? Malgré l'envie de questionner ses compagnons de route, l'humain se tut, trop concentré à observer autour de lui. Lorsqu'ils les dépassèrent, aucun ne fit mine de les avoir vus. Impassibles, les gardes auraient pu être de simples statues.

En remontant l'avenue principale, Tim y découvrit des échoppes, des tavernes et des marchands ambulants qui commençaient à ranger leurs étals. Ici, personne ne leur prêtait attention. La frénésie, qui habitait les rues, les submergea et ce fut invisibles qu'ils avancèrent vers le palais.

Le jeune homme observa les commerçants ranger des étoffes et de bijoux dans des coffres qu'ils déposaient sur des chariots poussés par de grandes chèvres. Il ne s'était pas attendu à découvrir de simples biques sur ce monde comme animal de bât. Il avait pourtant croisé de gros buffles dans les champs un peu plus tôt dans la journée, mais dans cette surprenante ville aux senteurs boisées, il n'avait remarqué que des caprins. Il caressa la tête d'une des bêtes qui bêla dans le vide. Tim sourit. Ce monde ne lui semblait pas si étranger.

— Pousse-toi de là. Tu ne vois pas que tu me gênes ! grogna un marchand les bras chargés de légumes défraîchis.

Tim s'écarta pour laisser le commerçant de mauvaise humeur ranger ses invendus dans un sac à ordures installé sur une charrette.

L'Alfe au teint gris ne le regarda même pas, trop occupé dans ses affaires. L'homme était élégamment vêtu pour un maraicher. Ses tresses étaient délicatement décorées de perles bleues, sa tunique indigo vola lorsqu'il bondit sur son attelage. Il claqua fort des rênes pour faire partir les chèvres au trot et il disparut au coin de la rue derrière un nuage de fine poussière.

— Tout le monde est aussi accueillant ou je me trompe ? ironisa Tim.

— Oh, ça ! C'est normal. Toute la cité est préoccupée par le solstice d'hiver. C'est ce soir. La fête va être grandiose. J'ai hâte d'en finir avec toi. Enfin, je te trouve sympathique, hein. Mais j'ai prévu de goûter au nouveau millésime de myodd. Il paraît qu'il sera divin ! chantonna Fabiola.

Elle tournoya tout excitée. Tim lui sourit. Décidément, cette petite chose avait le don d'adoucir son désarroi.

Car à mesure qu'ils approchaient de la bâtisse royale, son ventre se nouait et sa gorge se serrait. De voir Fabiola prendre tout ceci avec légèreté le rassurait.

— C'est bien ton style Kréture. Te mettre minable, alors que la situation est préoccupante. Ce que vous faites de cet événement n'est pas respectueux. Pfff ! Je comprends pourquoi vous travailler pour eux. Les Alfes sont comme vous, superficiels et oisifs, asséna le mage.

Tim avait deviné que celui-ci n'était pas un comique, mais il le trouvait trop rabat-joie.

— Et qu'est-ce que le solstice d'hiver ? Pourquoi est-il si important ?

Fabiola grandit d'un coup. De son allure de frêle jeune femme, elle lui attrapa amicalement le bras, cala ses pas sur ceux de Tim et lui expliqua jovialement :

— Il annonce le changement... L'hiver s'installe amenant le froid, et il fait descendre le soleil dans le ciel. Sa lumière devient plus rasante. Mais surtout, ce soir, le ciel va pleurer.

Elle se détacha de Tim, fit demi-tour sur elle-même, leva les mains vers les étoiles qui apparaissaient. Sa voix se fit chaude.

— Il va pleurer, chargeant les terres et le monde de sa force.

Elle baissa les mains dans un geste gracieux, elle joignit ses menottes contre sa joue, comme si elle se câlinait. Elle poursuivit :

— Tu verras, c'est un spectacle dont on ne se lasse jamais. Je suis sûre que même toi, Toth, tu dois trouver cela superbe.

Elle lui envoya un petit poing léger dans l'épaule avant de reprendre la taille d'une fée.

Le mage semblait abasourdi par le comportement de Fabiola. Il la toisa avec un certain dégout et  épousseta son épaule, comme si la Kréture y avait déposé on ne savait quels miasmes. Son visage revêtit soudain une expression plus douce, et nostalgique.

— Oui... répondit Toth. C'est un phénomène saisissant. Ce soir, les lunes seront alignées et la source se déversera sur Yggdrasil. Le Vaïo'ra nous donnera le mana nécessaire à la vie. C'est ainsi depuis le début des mondes. Plus que merveilleux, sans ce phénomène, nous ne serions pas.

L'Alfdarh leva la tête, comme s'il envoyait une prière secrète à la voûte céleste qui était désormais complète. Tim le trouvait intrigant, et soupçonnait une personnalité fidèle et droite, sous ce vernis de mage acerbe.

— Le Vaior... quoi ? (Elle s'apprêta à lui poser une question. Puis, elle leva les yeux, désabusée.) Je ne vais même pas te demander de m'expliquer vos cultes de sauvages. Cela ne m'intéresse pas. Bref... Tim. Tu vois, même Mônsieur le joyeux trouve ce phénomène magnifique. C'est peu dire.

Elle explosa de rire. Tim l'accompagna doucement sentant le regard du mage brûler sous la colère.

Toth était furieux. Il pressa le pas en prenant la tête du groupe.

— Toth, je ne fichais pas de toi. Enfin, juste pour « joyeux »... je suis désolé, s'excusa le jeune homme.

Tim ne voulait pas le blesser, et le faire n'aurait aucun intérêt pour la suite. Ces deux personnages, aussi diamétralement opposés l'un de l'autre, ressemblaient à des alliés. Inutile de s'en faire des ennemis. Sinon comment regagner la Terre et retrouver Mac ?

Toth s'immobilisa au milieu du chemin et fit face à l'humain :

— Cela suffit. Nous sommes presque arrivés. Je te dépose entre les mains du roi et de la reine, puis je reprends mes vieilles habitudes. Loin de vous.

Il pointa son index vers Tim puis vers Fabiola pour accentuer son propos.

La Kréture voulut rétorquer, quand le mage lui plaqua un index autoritaire sur la bouche. La fée loucha longuement sur le doigt et les lèvres pincées du mage. Tim détourna le regard, gêné par cette scène. La fée et Toth se reluquèrent chacun les bouches, avant de s'éloigner, comme incommodés soudainement par une vilaine odeur.

— En route, claqua la voix du mage.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant