HUNTED HUNTER

8-Girl, I hope you understand

 Quartier obsidienne, RAVEN

  Tout se prépare pour la Grande Récolte. Il s'agit, aux yeux de la plupart, d'un festival d'importance nationale : en ces terres hostiles, le jour de l'éclosion des hellébores boréales, l'apparition de leurs premiers pétales légèrement irisés, en sonne le début. La sélection marque la fin, hélas pour ceux qui savent, comme au fer rouge. Mais durant, tout le monde se laisse gagner par l'ivresse du seul événement de l'année qui permette de se rapprocher un tant soit peu du reste du district, parfois même des voisins, lorsque quelques marchands enrichis parviennent à voyager jusqu'ici. Parce que l'humain est un être social, il a besoin de se sentir appartenir à un ensemble, lorsque menacé par des règles qui le dépassent, toujours plus vaste.

   Les premiers légumes à chair dure et pâle remplacent enfin les racines farineuses consommées tout au long de la saison froide. Les baies de nuit se font plus rares, les proies reprennent un pelage plus sombre tandis que la neige fond. 

  Il faut préparer les champs, et la ruche qu'est ce petit village se réveille doucement: hommes à la mine pour extraire charbon et Chrysa - minerai bleuté précieux qui s'y mêle - , femmes, infirmes, vieillards et enfants arc-boutés dehors afin de retourner la terre et y transférer les plus beaux plants.

  Nul ne peut semer les hellébores boréales. Il faut les prélever aux abords de la forêt, en prenant garde de ne pas casser les racines. Ces plantes vivaces pourtant capables de résister à un froid extrême, ne fleurissent jamais dès lors que l'on essaie de les y forcer, et même pire : dépérissent. Bronn et Arthur taquinent sans cesse Raven à ce sujet, même si elle est bien loin de se considérer comme une fleur. Encore moins  comme une variété si spéciale.

  Ce qui montre que le court printemps ne tardera à laisser place à un été frais mais ensoleillé, c'est que les gardes sont de plus en plus nombreux. Ils pullulent comme autant de nuisibles, atteignant bientôt en nombre la moitié de la population du village. Rapport de force démesuré lorsque ce dernier compte en majorité des enfants aux airs de lévriers affamés, Nordiens robustes de nature, certes, mais malingres.

  Le peuple, dont elle fait partie, évoque à Raven un troupeau de brebis bien trop égarées pour contester quoi que cela soit, mais elle se laisse à apprécier l'ambiance allègre environnante ainsi que les rayons du soleil faisant ressortir des constellations de tâches de rousseur sur sa peau quittant peu à peu sa pâleur habituelle pour un bronzage saisonnier.

  La jambe d'Arthur va bien mieux, Alicia reprend elle aussi du poil de la bête. Personne n'a vraiment posé de questions à ce sujet bien que la Récolte de l'année précédente, comme toutes les autres d'ailleurs, ait été publique. Les Serres soupçonnent certains de partager en cachette idéaux et connaissance sans oser pour autant s'impliquer. Et, qui pour les blâmer ?

 Donc tout va bien. Un peu trop bien pour être honnête envers vous, cher lecteur, si l'on passe sous silence les événements "de routine". Mais après tout, pourquoi ne pas en profiter tant que cela dure?

 Ainsi, alors que chasser de grosses proies devient de plus en plus dur, Raven suit comme un chat des neiges fasciné par un sizerin flammé l'évolution des paysages, des feuillus retrouvant leur parure aux stands toujours plus étoffés au marché, d'artisans, foi de narrateur, bien créatifs souhaitant se surpasser (également sur les prix) depuis qu'une rumeur circule selon laquelle des gens de la haute se déplaceraient peut être jusqu'ici cette année. Une des chanteuses de la taverne le tient d'un garde. 

En parlant du corbeau, le voilà justement passant près de l'écurie où de nouveaux poulains sont nés. De belles bêtes, bien bâties, dont les jambes puissantes semblent faites pour avancer dans le blizzard. Ils seront sûrement présentés aux enchères durant le festival, si les locaux ne peuvent pas se les offrir, les gardes le peuvent, et en auront certainement besoin au retour de la saison froide.