Genèse

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Arèn Edwalls, 17 ans. Ancien parisien et nouvellement sudiste. La compagne de mon père a été muté à Toulon pour son travail et nous avons déménagés tous les trois.

Pour moi, forcément, nouveau lycée, nouvelle vie, nouvelle histoire. Lycée privé et catholique, en l'occurrence ; apparemment le moins mauvais de la ville. J'imagine donc une population de gosses de marins, de riches (sûrement tous catho), et de minorités ethniques ayant réussi à se hisser dans l'ascenseur social (à savoir probablement 1 ou 2% des élèves). Je vais me sentir à l'aise, moi, l'homosexuel socialiste affirmé, au milieu de tout ce petit monde. J'appréhende terriblement mon année. D'autant que je ne sais pas quoi faire de ma vie. Je pensais m'engager dans une cause humanitaire, ou faire du droit, ou même de la théologie. Je suis depuis longtemps fasciné par toutes les formes de croyances, moi qui suis un sceptique empiriste affirmé qui n'a foi ni espoir en rien d'autre qu'en les faits et les entreprises concrètes. Je me sens profondément seul, notamment depuis que j'ai quitté Paris et tout ce que j'avais de mes repères et de mes amis ; mais je me sens délaissé surtout sur le plan familial. Fils unique, de parents divorcés, une mère qui ne venait me voir qu'une fois par mois, un père qui me porte autant d'attention qu'un pêcheur à une sole malade mais tout de même mangeable, et une belle-mère (s'il en est) qui s'ajoute au tableau pour foutre la merde dans ma vie, sans même avoir la décence d'avoir pour moi plus d'intérêt que mon père. Au vue des circonstances, l'adaptation naturelle à mon milieu m'a rendu cynique.

Enfin, après deux mois d'attente, vint le jour de la rentrée. Seul dans la grande cour de l'école, j'observais les petits groupes qui se reformaient après des vacances qui, à les voir, avaient duré une éternité de trop. Ils avaient l'entrain qui rappelaient que l'été n'avait pas encore tout à fait disparu des esprits. Des feuilles sur lesquelles étaient indiquée la composition de toutes les classes de terminales, avaient été accrochées sur le panneau d'affichage au fond de la cour, vers lequel tous les élèves s'agglutinaient progressivement comme des fourmis sur une miche de pain. Jetant un regard circulaire pour juger de ce qu'il y avait autour de moi, mes yeux s'arrêtèrent sur un bel éphèbe qui, comme moi, s'était éloigné de la foule. Les yeux rivés sur son téléphone, il semblait très concentré sur sa partie de Candy Crush. Il leva bientôt la tête, constata qu'il y avait moins de monde, posa son regard sur moi, me sourit furtivement sans réelle conviction et se dirigea vers le panneau d'affichage ; je le suivis. Je suis en terminale ES2, lui s'appelle Abel de Montford et nous sommes dans la même classe. Un catho à particule : me voilà servi.

Bilan de la journée : ma classe est composée d'une majorité de filles (dont deux n'ont pas l'air superficielles sur un total de vingt-et-une) et les mecs ont tous l'air suffisant et méprisant, semblant à l'affût vis à vis  de toutes les salope de terminale. Déception donc, mais j'ai sympathisé avec cet Abel ; il répond parfaitement à l'image que je m'étais faite de lui, avec moins de prétention. C'est déjà ça de gagné.

De retour chez moi après m'être familiarisé un peu plus avec les environs. Un pas dans l'appartement et j'entendais déjà les vieux gémir dans leur chambre ; à 19h30, il y a de quoi vous couper l'appétit. Remarquez, ça n'était pas plus mal, je n'avais aucune envie de les voir. Je me fis à manger et m'enfermai dans ma chambre pour lancer un épisode de Game of thrones. En me couchant, les yeux enfin clos, je tentai de me remémorer cet Abel: ce visage allongé, ces traits fins, ce front caché par une frange trop longue qui y faisait naufrage, des yeux verts perçants presque sévères et une bouche pincé, digne d'un enfant de chœur. L'idée qui me vint me fit sourire seul dans mes draps blancs : il fallait le décoincé, ce petit noblio bien assagit par le dogme, le faire gémir, le faire passer des nuits blanches. Après mon passage, je le prie de croire que son obsession, ça sera plus Candy Cruch.

À cette simple pensée, mon imagination fertile me le figura déjà nu, à genoux devant à moi, tenant fermement le médaillon qu'il portait au cou, priant son Dieu unique et tout ses anges de le préserver du Démon, la voix tremblante, juste avant de... Le pauvre. Je suis vraiment qu'un sale porc. Mais j'en ris.

Il est bon de savoir se fixer des objectifs pour faire face à l'adversité, me suis-je dit avant de m'endormir.


Rester digneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant