Je n'eus aucune nouvelle de lui pendant le week end. Sans doute révisait-il pour un contrôle et n'avait pas eu le temps de toucher à son portable... Mais il répondait toujours à mes messages pourtant ; pas cette fois visiblement. Lundi matin, il arriva en retard en histoire et se mit à côté de moi dans le fond de la classe sans m'adresser un seul geste, pas un seul regard, rien. Il sortit ses affaires et commença à prendre des notes sous mes yeux écarquillés : j'avais pourtant cru comprendre qu'on était ensemble, mais apparemment j'étais toujours invisible. Je lui donnai donc une chiquette comme je sais si bien les donner, pour qu'enfin Monsieur daigne prendre ma masse corporelle en considération. Il m'offrit un mince sourire, se tenant la tête de douleur, et un maigre "Salut".
- J'espère que tu te fous de moi, là, lui dis-je calmement.
- Non ; attends j'écoute le cours.
- T'arrives, tu t'assois ; pas bonjour, pas merde et maintenant t'écoutes en histoire ?! Bah putain, tu m'épates.
- Chut parle pas trop fort, lança-t-il d'un chuchotement théâtral presque plus fort que mon parlé ; je veux pas me faire remarquer, c'est tout.
- Ho je vois, Monsieur soigne son image. Et bien parfait alors, je laisse Monsieur suivre, puisque je dérange.
Je feignis une moue en lui montrant mon dos.
- Il faut qu'on parle, commença-t-il gravement.
Je me tournai vers lui, intrigué.
- Arèn, je pense pas que ce qui s'est passé vendredi était une bonne chose.
- Putain mais t'es sérieux ? Je croyais que c'étais fini ça !
- Je sais... Mais je me sens observé...
- Si tu te sens observé, faut que t'ailles consulter vite, mon chou, parce que tu souffres de paranoïa.
- Mais non, idiot ! Je veux dire que je me sens observé par le Seigneur lui-même. Il voit que ce que je fais est mal, je le sais.
- ... Tu... T'es sérieux là ? Attends mais pour un cas pareil, c'est plus un psychologue qu'il faut que tu vois ; c'est un psychiatre ! Mec, tu te rends compte que t'es persuadé qu'un vieux monsieur te regarde juste parce que t'aimes un autre gars ? Donc tu nous fais non seulement une crise de paranoïa, mais aussi une crise aigüe d'égocentrisme ; tu te sens observer par un dieu, quand même, donc ça veut dire qu'il te considère assez important pour te regarder toi. C'est un peu gros, tu trouves pas ?
- Mais non, tu comprends rien, contredit-il en rougissant ; il voit tout, il entend tout, il sait...
- Attends, c'est moi qui comprends rien ? C'est pas rationnel ton histoire, ça tient pas debout ! Et puis honnêtement, qui aurait envie de croire à un dieu en mode Big Brother, qui surveille tout les faits et gestes de ses fidèles et qui les punit en leur infligeant les pires tortures à leur mort ?
- Arrête, tu t'acharnes, c'est ridicule. T'y crois pas, c'est normal que tu comprennes pas. Il est bon envers ceux qui ne commettent pas de faute. Et l'insulte pas s'te plaît, tu manques pas de respect.
- Mais sérieusement, comment tu t'es remis cette idée dans la tête, que tu commettais une faute en tombant amoureux de moi ?
- ...Je suis allé à la messe dimanche et le prêtre a vu que j'étais pas alaise. Alors je me suis confessé.
- Mais je croyais que t'en parlais pas à ton curé !
- Bah ouais, mais il avait deviné que j'étais pécheur ; je pouvais qu'avouer...
- Mais t'es complètement con ! Il a pas pu deviner, il est pas dans ta tête ; et t'as tout dit ?
- Non, j'ai juste dis que j'étais attiré par quelqu'un de ma classe... Mais je peux pas te le dire, j'ai pas le droit de révéler une confession.
- Tu te fous de moi, je suis concerné quand même. Et puis même si ton dieu peut t'entendre, je suis sûr qu'il t'écoutes pas, dis-je avec un petit sourire rassurant.
- C'est ça, fous-toi de ma gueule... lança-t-il exaspéré en se tenant la tête et en marquant une longue pause avant de commencer le récit de sa confession, me tenant en halène. Il a dit que le vice était partout, même chez les plus purs d'entre nous, qu'il fallait que je sache rediriger mon cœur sur la bonne voie avec l'aide de Dieu. Alors je lui ai dit que j'avais déjà essayé, mais que mon attirance était trop forte, et j'ai même osé dire que j'étais certain que c'était la bonne voie. Il a répondu que seul le Seigneur décidait de ce qui était bon ou mauvais, que si je me laissais aller à mes pulsions je risquais de commettre l'un des crimes les plus graves envers Lui et qu'il était possible que mon esprit ait été contaminé par le démon. Il a dit qu'il fallait que je lutte avec la force de ma foi pour retrouver le droit chemin, pour qu'Il voit mes efforts et qu'Il soit indulgent au moment du Jugement...
- Amen, conclus-je avec un sourire en coin et en lui caressant la main.
- Arrête Arèn ; essaye de me prendre au sérieux cinq minutes, c'est pas drôle du tout ; et puis c'est pas tout les jours que je délivre une confession.
- Abel ?
- Quoi ?
- Tu m'aimes ?
- Oui...
- Et Dieu est amour, pas vrai ?
- Bah ouais mais...
- Bah tu vois, on vient de démontrer ensemble que Dieu n'est pas contre toi et t'observe avec un regard bienveillant.
- C'est pas si simple, murmura-t-il dans un sourire.
Puis nos mains se joignirent, quand je vis son visage refléter la mélancolie, le doute, ce qui fit jaillir en moi un profond sentiment d'amertume. Les heures suivantes, et jusqu'à la fin de la journée, nos pensées et discussions ne furent tournées que vers ce sujet-ci, et je réussis enfin à lui retirer de la tête l'idée que Dieu lui en voulait.
Seulement les jours d'après, sa peur s'était agrandie, et il avait même rêvé du Seigneur lui parlant, avec des phrases calquées les paroles du prêtre : "Reste dans le droit chemin, mon fils. Fais ce que tu penses être juste. Va, et ne pèche plus.". Il avait relu, dans la Bible, le passage dans lequel le Seigneur brûlait les villes de Sodome et Gomore, alors qu'Abraham n'avait même pas réussi à trouvé cinq personnes pures en leurs murs.
Dieu n'aimait pas les Sodomites (les homosexuels ou autres créatures du Malin), et il en allait ainsi pour tout ses fidèles, qu'ils se nomment chrétiens, musulmans ou juifs, quelque soit la façon dont ils Le nomment. Qu'est-ce qu'un pauvre petit gars comme Abel pouvait y changer ? Absolument rien. Et il en souffrait, je le voyais bien, et ça me faisait mal le voir souffrir pour ce qui me semblait la cause la plus absurde du monde. Alors je pris une décision : nous irions ensemble à son église pour demander à Dieu de gracier Abel de l'Enfer. du moins, ce fut ce qu'il pensa lorsque je lui annonçai que nous "irions nous agenouiller devant Dieu" et que nous "irions dans le confessionnal" ; pour ma part, il est vrai que j'avais quelque arrière pensée. Il le comprit comme il l'entendait, et cela le rassura et lui allégea un peu le cœur ; c'était ce qui comptait pour moi.
Après tout, Abel avait toujours été le chouchou du Très Haut, il n'avait aucune raison d'être inquiété par une mauvaise conduite. Il était grand temps qu'Abel retrouve son Caïn, pour qu'enfin il comprenne que la domination divine n'était pas la seule domination bénéfique pour l'Homme.

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Rester digne
General FictionBonjour chers amis ! Voici une histoire qu'on pourrait qualifiée de romantique entre deux hommes, un peu à la Roméo et Juliette, mais avec un seul protagoniste qui se retrouve face au dilemme du corps et de l'esprit. Pas mal de remise en question su...