Les Enfants de la Faucheuse (Tome 2)

Chapitre 2 : Tout ce qu'il en reste

Charlotte, Caroline du Nord, Atrium Health : Centre médical.

Les lumières défilent à toute vitesse au plafond, cette sensation pourrait être grisante si elle n'était pas aussi inconfortable. Allongée sur la civière, Hannah serre les dents pour ne pas hurler. Les doigts crispés sur le drap, elle agite la tête de droite à gauche, comme si ça pouvait l'aider à oublier la douleur qui lui déchire les entrailles. Autour d'elle, le monde est flou, impalpable, il vacille, tangue et ne s'arrête jamais.

-Tenez bon Madame, c'est bientôt fini.

La jeune femme a envie de lui hurler « menteur ! », elle sait que c'est tout le contraire. Elle entame une aventure qui la plonge dans une terreur sans nom mais elle a pris sa décision des mois auparavant, maintenant il lui faut aller au bout, il n'y a pas de marche arrière possible. Alors elle respire, fort, en rythme et encaisse la douleur qui se fait toujours plus pressante.

Le brancard continue sa course, dépasse les doubles portes et s'engage dans un ascenseur. La jeune femme étouffe un cri et presse les mains sur son ventre proéminent. Elle se souvient parfaitement de tout ce qui l'a amenée jusqu'ici...

Après sa mésaventure avec Caleb, Hannah avait décidé de ne plus se laisser approcher. La perte de son premier amour, mais surtout le sentiment de trahison persistant n'avaient, de toute façon, pas aidé la jeune femme à s'ouvrir aux autres. Elle avait donc repris le cours de sa vie en pansant ses blessures comme elle le pouvait.

Il n'était jamais revenu au Jerry's, ni lui, ni aucun de ceux qu'il appelait ses frères et c'était tant mieux. Hannah se sentait plus fragile que jamais et lorsqu'un vrombissement de moteur raisonnait au loin elle sentait, bien malgré elle, les larmes venir lui réchauffer les yeux.

Elle avait d'abord cru que le temps l'aiderait à oublier, mais elle se retrouvait souvent sujette à des crises de larmes incontrôlables. Elle avait même suivi les conseils de sa collègue, Clarisse, qui lui avait expliqué que le meilleur remède à une peine de cœur était de se caler avec un énorme pot de glace dans un canapé moelleux en regardant son film préféré. Tout ce qu'Hannah avait retiré de sa soirée glace, c'était un réveil sous le signe d'une nausée persistante.

Passé les premières heures de la journée, elle avait dû se rendre à l'évidence, elle était malade comme un chien, n'arrêtant de vomir que pour mieux pleurer. Si elle avait mis les vomissements sur le compte de la glace et les larmes sur le compte de la rupture, après trois jours entiers à ce rythme elle avait fini par consulter un docteur.

Après quelques analyses, le verdict était tombé, sans appel. Caleb n'avait pas fait que la trahir, il lui avait laissé un petit cadeau. Et ce cadeau grandissait depuis plusieurs semaines déjà, bien au chaud dans le nid douillet que lui offrait le corps de la jeune femme.

Et puisque l'univers était bien décidé à tout faire pour qu'elle n'oublie pas son premier grand amour, Hannah avait, elle, décidé de garder ce petit être qui grandissait en elle. Elle voulait être mère, et chérir cet enfant imprévu, cet accident de parcours qui était, finalement, le plus beau cadeau que la vie pouvait lui offrir.

Il n'était pas question de combler un quelconque manque affectif, Hannah dès lors qu'elle sut qu'elle allait être mère, se mit à vivre pleinement pour cet enfant à venir. La peine de cœur était reléguée loin derrière la future naissance.

De plus, il était exclu de prévenir Caleb. Elle n'était pas de ces filles qui se servent d'une grossesse pour ramener un homme dans leurs filets. Ce bébé ne serait le piège de personne. En plus, d'une certaine façon, elle estimait qu'il ne méritait pas cet enfant. Ce bébé était le fruit de l'amour, du moins de son amour, à elle. Tant pis si cet amour avait été à sens unique, elle ne regrettait rien, elle était prête, elle serait mère !

Et, rapidement, l'entourage d'Hannah avait pu voir la jeune femme se transformer.

Transfigurée par sa grossesse, chacun s'accordait à dire qu'elle devenait de plus en plus radieuse au fil des semaines.

Le visage rouge, en sueur, elle sent les larmes rouler, brûlantes, sur ses joues.

Épuisée, elle fond en larmes alors qu'un cri raisonne dans la salle d'accouchement, le nourrisson semble avoir compris comment fonctionnent ses cordes vocales et hurle pour faire connaître au monde l'étendue de ses capacités pulmonaires.

L'enfant est déposée sur la poitrine de sa mère qui, émerveillée, caresse du bout des doigts chaque parcelle de peau de sa petite fille.

-Bonjour ma princesse.

Enfin nichée dans le giron maternel, l'enfant s'apaise rapidement sous le regard fasciné de sa toute première admiratrice.

Hannah ne sent plus ni fatigue, ni douleur, juste un amour inconditionnel et si puissant qu'il pourrait lui faire faire des folies. En regardant ce petit être qu'elle berce doucement contre elle, elle sait que rien ni personne, jamais ne pourra s'interposer entre elles. La toute jeune maman se sent emplie d'un amour si puissant qu'il gonfle sa poitrine d'une foi inébranlable en l'avenir.

Pour sa petite fille, rien ne sera trop beau, aucun combat ne sera trop difficile. Si elle est tout ce qui lui reste de Caleb, Hannah se le promet, jamais l'enfant ne sentira cette absence de père comme un manque dans sa vie, elle y veillera.

Dans la chambre 103 du service maternité, Hannah sourit à la sage-femme lorsqu'elle enregistre son bébé sous le prénom de Brooke, elle est prête à tout affronter pour sa fille et à lui bâtir une vie à l'abri du besoin, une véritable vie de petite princesse. L'amour inonde son regard et déborde en longues traînées humides qui s'égarent dans son cou, rien ne pourra jamais lui enlever la joie de cet instant.

Elle pense, avec bonheur, au nid douillet qu'elle a préparé pour elles deux. Un cocon de douceur où elle pourra élever sa fille en toute sécurité. Hannah s'est montrée prévoyante et rien ne peut ternir l'avenir brillant qu'elle s'est préparé. Peu importent les sacrifices qu'il lui faudra faire, sa fille aura le meilleur, quoi qu'il en coûte, elle se l'est promis.

Mais ne dit-on pas que les promesses n'engagent que ceux qui y croient ?