Les Enfants de la Faucheuse (Tome 2)

Chapitre 10 : L'irrégulière

Depuis quelques temps maintenant, Caleb s'est entiché d'une rousse pulpeuse à la voix qui crisse sur les murs comme une pluie de gravillons. Si elle n'est pas véritablement sa régulière officielle, Sean et Brooke, âgés respectivement de 12 et 9 ans, ne l'aiment pas du tout. Et ils n'ont rien trouvé de mieux que de l'appeler l'irrégulière, preuve ultime pour les deux enfants qu'elle n'a pas sa place dans leur maison. Sean a expliqué longuement à sa petite sœur ce qu'était une régulière, et les deux marmots en ont déduit que Viviane, car c'est ainsi que la rousse se nomme, ne peut pas en être une.

Hors de question pour eux d'envisager que leur père puisse avoir un avenir avec cette femme. Certes, lorsqu'il est présent, elle se montre charmante, elle sourit et pourrait presque paraître agréable. Mais dès que l'homme a le dos tourné, la mégère fait comprendre aux enfants que l'inimitié qu'ils ressentent est réciproque. Malheureusement, le père de famille est loin de se rendre compte de ce qui se passe, persuadé que ses enfants font juste une petite crise de jalousie depuis l'arrivée de sa conquête.

Il est bien décidé à faire en sorte que les uns et les autres s'apprivoisent et laisse donc, de plus en plus souvent, ses enfants à la garde de sa compagne lorsqu'il doit partir en mission pour le club. Viviane, qui plus est, lui a bien dit que ça ne la dérangeait absolument pas de s'occuper de ses enfants, au contraire, elle les adore. Et, elle le lui répète, ils finiront par devenir comme une mère et ses petits si Caleb leur laisse un peu de temps.

Ce mardi soir, un convoi est prévu et il est de la plus haute importance, aussi le sergent d'armes est bien content d'avoir sa gentille rouquine sous la main pour garder les petits. Il enfile son cuir et embrasse tout son petit monde avant de filer dans le bureau du Président pour discuter des derniers détails. Il ne se doute pas un instant de ce qui se passe dès qu'il a franchi la porte.

Sean descend de sa chambre, un sac à dos négligemment jeté sur l'épaule et demande à Viviane s'il peut aller passer la nuit chez son copain Cody. Ce n'est qu'une formalité, la jeune femme est bien trop heureuse de se débarrasser du mioche et accepte rapidement. Elle ne se soucie pas de voir l'enfant partir à pied, seul, dans les rues de la grande ville alors que le soir commence à tomber. Fort heureusement, le petit garçon est débrouillard et file en ligne droite jusqu'à la maison de son ami. Habituée à le voir débouler quand ça le chante, sa mère accepte volontiers de l'accueillir pour la nuit et les deux copains se préparent une soirée remplie de sodas, de jeux vidéo et d'une indigestion de pizzas et de glace sous l'œil bienveillant de la mère de famille.

Brooke, de son côté, se triture les méninges pour échapper à la soirée en tête à tête avec la harpie. Finalement elle tente le tout pour le tout. Elle prend une grande inspiration et regarde l'horloge de la cuisine avant de pousser une exclamation exagérée. Elle monte à l'étage et, comme son frère un peu plus tôt, elle redescend après quelques instants, son petit sac à dos bien calé sur ses épaules.

-La maman d'Eva m'attend, elle m'a invité pour une soirée pyjama. Papa avait dit oui, j'peux y aller Viviiiii ? Sinon on passe une soirée entre filles à se raconter tous nos secrets sur les garçons et on se maquillera, et je te ferai plein de tresses, ce sera super.

Viviane lève le nez de son magasine et dévisage la gamine, l'air peu amène. Une soirée rien qu'entre filles hein ? Avec cette peste ? Elle préfèrerai crever ! Elle accroche un sourire aussi faux que celui que Brooke lui adresse, sur son visage.

-Si ton père était d'accord tu peux y aller. On se fera une soirée rien que nous deux une autre fois.

-Super ! Bye !

La rousse agite une main aux ongles parfaitement manucurés vers la mioche avant de reprendre sa lecture. Elle ne voit pas la gamine fourrer rapidement une bouteille de soda et un paquet de biscuits dans son sac. Déjà, toute son attention est retournée aux potins mondains dont est rempli son magasine, et puisqu'elle aura la paix ce soir, elle en profite même pour se servir un grand verre de vin.