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Alice

-...donc, voilà, pour toutes ces raisons je te demande pardon.

Lucas esquisse un sourire coupable en plissant les yeux et en grinçant des dents.

Je pose ma main délicatement sur son épaule, je n'en attendais pas plus de sa part. Il semble avoir quand même pas mal réfléchi pour quelqu'un qui a visiblement l'habitude d'agir sans penser aux conséquences.
Je lui souris timidement et lève mes sourcils avant de m'exclamer :

- Ahah, bon, au moins tu auras compris la leçon !

Il n'en croit pas ses oreilles et un sourire dévoilant toutes ses dents blanches se dessine en travers de ses joues blanchâtres.

- C'est vrai !
Il ouvre instinctivement grand les bras.

- Ouais.
Je fais de même puis il me serre contre lui si fort que ma poitrine est totalement écrasée.

Il me fait un dernier signe amical, comme si nous allions devenir amis, avant de s'enfoncer plus profondément dans la ruelle déprimante et de s'engouffrer dans le bus bleu rempli de ses petits camarades.

J'aperçois soudainement une silhouette se dessiner dans la pénombre.

- Oh putain !

Je vois ma vie défiler devant mes yeux. Peut-être un agresseur, un tueur en série, un violeur ou un kidnappeur... J'accélère le pas. Pas question que je finisse dans un sac poubelle découpée en morceaux, ou attachée à un mur dans une cave.

- Alice !

De toutes les choses ignobles qui auraient pu m'arriver ce soir, il eut fallu que ça soit ça...
Je ne sais pas ce que j'aurais préféré en fin de compte, le sac poubelle ou...

- Attends Alice ! il réitère.

«cours Alice, cours !» m'ordonne la partie censée de mon cerveau. Et je l'écoute. Je vais de plus en plus vite. Je fais semblant de ne pas l'entendre. Je panique.

- Ahhhhhhh ! hurlé-je lorsque qu'une main glaciale m'attrape rapidement le poignet.

Je me retourne redoutant instantanément les prochaines secondes de ma terrible vie.

- Alice ! Attends, seulement une minute s'il te plaît. Si Kylian me voit il va me tuer. me supplie un grand brun qui me poursuit dans mes plus capricieux cauchemars.

Je tente de me retourner et de fuir, mais il me maintient et je vois une lueur de désespoir dans ses yeux. Je voudrais tellement le faire souffrir autant qu'il m'a faite souffrir. Mais j'en suis incapable, car, dès que je vois ses prunelles noisettes, la muraille de Chine qui protège mon cœur s'effondre en débris et une lumière chaude et réconfortante nait dans le recoins le plus sensible de mon buste.

Je le regarde apathique et inanimée même si des tornades de questions et des tsunamis de souvenirs heurtants se déchaînent en moi.

- Je...je veux juste te parler. continue-t-il lâchant mon bras ce qui me soulage d'un énorme poids.

Je poursuis ma communication muette. Mon regard parle...

- Écoute, je sais que ça ne suffira jamais. Mais je suis tellement désolé. Tu ne mé...

Je place rapidement ma main devant son visage. Je sens son souffle chaud sur ma paume. Sans le regarder, je perçois un soupire étranglé au fond de ma gorge. Je crois que je vais chialer. Il faut que j'évite cette catastrophe.

- BENJAMIN. J'en ai assez entendu.

Je passe vulgairement ma main dans mes cheveux. Je renifle une bonne dernière fois, les larmes aux yeux je secoue la tête et m'en vais. Cette fois je le sais. C'est la dernière fois. Je le laisse. J'espère que je l'ai blessé. Que j'ai blessé son ego et que je lui ai planté un poignard en plein cœur.

Malheureusement je crois aussi que je vais le regretter. Car, même si le revoir, lui reparler, me souvenir à nouveau de ce jour où je croyais enfin m'être libérée de ma carapace d'adolescente innocente, et pouvoir enfin être appréciée comme je suis, ce jour où je croyais mais qu'on m'a prise pour le dindon de la farce. En fait, en le revoyant j'ai pressenti une boule d'énergie perverse dans mon ventre. Une boule qui grossissait. Cette boule qui prenait du plaisir à le voir en détresse. Cette boule, qui, me démangeait les lèvres. Cette boule qui, une seconde sur cinq m'incitait à sourire. Un sourire de jouissance. Un esprit mauvais. Un esprit qui ne voulait pas en finir avec cette conversation. Un esprit qui le voulait à ses côtés pour l'éternité.

Mais cette boule diabolique et malveillante s'est inclinée face à la voix de la raison et à la voix du cœur qui souffre déjà depuis trop longtemps. J'ai choisi mon honneur. J'ai choisi de réfléchir plutôt que d'agir sans penser. Comme ils l'ont fait. J'ai choisi de guérir. J'ai choisi de sauver ce qu'il me reste au lieu de me tenter à une opération risquée qui pourrait me terminer, m'achever et me grignoter jusqu'à la moelle...
J'ai choisi de survire. Pas de vivre, de survivre. Mais je vais me rétablir, je vais ressusciter et oublier.
Ce soir je me suis rendue compte que je dois passer à autre chose car, je pensais à lui. Mais lui, il s'en foutait. Alors c'est fini. Je tourne la page et je lis la première phrase du nouveau chapitre :
« [...] et aucun malheur n'est éternel. »
Yasmina Khadra
Ce que le jour doit à la nuit











Pdv Benjamin

- PUTAIN DE MERDE FAIS CHIER ! Fais chier putain...

Je donne agressivement un coup de pied dans une vielle canette de Coca qui gît minablement sur le trottoir face au bus. En fin de compte je suis comme cette canette : une ordure, qui pollue; je suis bon à jeter dans la benne...

- Allez Benjamin on se dépêche ! me presse le coach.

Je traîne la patte. En entrant dans le véhicule, je sens le regard interrogateur de mes coéquipiers se poser sur moi. J'ai la tête baissée. Plus aucune énergie, et l'épée de Damoclès qui vient de me trancher la moelle épinière. Je suis mort à l'intérieur. Un cadavre animé...

Soudain, Kylian se lève brusquement devant moi. Nous sommes à peine à un centimètre l'un de l'autre. Le torse bombé, les sourcils froncés, ses yeux sont noirs ébène. Il est le loup et moi l'agneau.

- Tu te fous d'ma gueule ? lâche-t-il avec réthorique et agressivité.

Il secoue la tête et pointe son doigt menaçant dans ma direction.

- C'est fini là ! On se calme les gars. nous reprend Hugo.

Sans le regarder je repousse négligemment son doigt et vais m'asseoir sur un des sièges du fond. Lucas qui me dévisage s'empresse de me poser des milliards de questions. Une revient une fois sur deux :

- Alors ?!

- Je te retourne la question... réponds-je plaquant ma tête contre la vitre sombre et matte du bus.

- Bah je suis excusé. Toi ?

- Elle veut pas me parler...

- Bon, t'auras essayé. C'est plus ton problème si elle veut pas te parler. Tu pourras toujours réessayer.

- C'était la dernière fois...

- On peut dire que la balle est dans son camp alors maintenant.

Je me redresse et le regarde comme si il était le dernier des imbéciles. Décidément il ne comprend vraiment rien.

- Quoi ? continue-t-il un sourire plus qu'exaspérant sur la face.

- Rien...

Je recolle ma tête contre cette vitre qui est aussi froide que l'échange que j'ai eu avec Alice. L'air maussade, mélancolique, triste j'écoute ma musique. Une larme orpheline et solitaire coule le long de ma joue. Je l'efface comme Alice vient d'effacer mes espoirs...

«...but I love you so...» si Oasis parvient à le chanter, j'aurais dû essayer. Car oui, i love you so était l'unique phrase que je voulais lui dire. Que j'aurais voulu crier à pleins poumons.

Tout mes espoirs s'effondrent. La passion disparaît. Sans passion, on vit avec malheur, mais sans espoir, on ne vit plus.
Car on le sait bien, l'espoir fait vivre.

- Rien Lucas, il n'y a plus rien...

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