N°3: La Haine

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La pluie lui ruisselait sur les joues et elle avait les mains et les genoux couverts de boue. Ses joues étaient rougies et son souffle court. Pourtant, à ses yeux, elle était la plus belle du monde. Une image comme on en voit que dans les livres et dont on entend parler que dans les livres. C'était comme si une étoile était venue marcher sur terre.

"Lieutenant Aegnor? Est-ce que tout va bien?"

L'ellon sortit alors de sa rêverie et adressa un sourire poli mais un peu gêné à la jeune elleth qui l'observait. Ses grands yeux curieux le détaillant comme si elle pouvait percevoir le secret de ses pensées. Heureusement ce n'était pas le cas. Il avait beau être plus grand que elle, il lui semblait être tout petit auprès de Airin. Celle-ci pouvait sentir un certain inconfort chez l'ellon alors elle posa gentiment sa main sur son épaule. Aegnor n'était pas un elfe facile à approcher ni à vivre mais son frère lui en disait beaucoup de bien alors elle avait accepté de le prendre avec elle pour lui apprendre comment utiliser certaines herbes médicinales. Mais il semblait qu'il avait du mal à se concentrer.

"Excusez moi dame Airin, j'étais dans mes pensées, avez vous pu trouver tout ce que vous vouliez? Demanda poliment l'ellon en tentant de cacher son embarras

- Oui, viens, allons nous mettre à l'abri le temps que l'averse passe puis nous rentrerons au palais"

Les rares amis qu'il avait lui avaient parlé de l'amour comme quelque chose de pur, quelque chose de clair comme l'eau d'un lac. Mais il n'avait pas exactement l'impression que c'était ce qu'il ressentait. Et pourtant il se sentait amoureux. Il avait plutôt l'impression d'être malade, fiévreux d'une certaine manière. Et puis il sentait que quelque chose n'allait pas. Plutôt que de l'aider à voler il préférait la mettre en cage pour être sûr que plus jamais elle ne puisse aller au devant du danger. Bien sûr pour l'instant il se maîtrisait mais comment savoir combien de temps cela allait durer?

En s'installant dans le petit abri qu'elle avait trouvé, il ramena ses genoux contre sa poitrine, n'osant même pas la regarder. Quel effet aurait sur lui la vision de ses vêtements et de ses cheveux mouillés? De ses oreilles et de son cou ou ruissellaient probablement des gouttes d'eau? L'excitation dans ses yeux suite à une chasse fructueuse? Le bout de ses doigts rougis par la fraîcheur de l'extérieur? Sa jupe remontée jusqu'à ses genoux? Il savait quel effet cela aurait sur lui et il préférait l'éviter. Il refusait de s'abaisser aux mêmes désirs que ces humains qu'il méprisait profondément.

"Allons y, la pluie a cessé"

Loin de se calmer le phénomène s'était empiré les semaines suivantes au point ou il faisait tout ce qu'il pouvait pour ne pas avoir à entrer en contact avec l'apprentie soigneuse. Et pourtant, Eru seul savait à quel point il le désirait. A quel point il la désirait. Il voyait en elle une sorte de rêve. Un rêve qui finissait même par le hanter la nuit.

Lorsqu'il avait de la chance, il rêvait qu'elle ne laissait enfin aller dans ses bras et qu'elle l'embrassait avec passion. Lorsqu'il avait moins de chance il la voyait lui être enlevée par une sorte de forme étrange qu'il n'arrivait pas à voir. Et alors qu'il se réveillait d'un énième cauchemar de ce genre, il vit une drôle de silhouette au bout de son lit. Guerrier aguerri qu'il était, il saisit son épée qui ne quittait jamais son chevet et bondit sur la silhouette. Mais celle ci s'évapora dans un nuage de fumée sombre avant de réapparaître, prenant la forme de la femme qu'il désirait tant.

"Tant de noirceur dans le cœur d'un elfe, on pourrait presque croire que Feanör n'a pas conduit à la mort tout ses fils... tu portes bien ton nom elfe brun... Susurra la voix étrangement mielleuse

- Qui êtes vous?!

- Seulement la réponse à toutes tes supplications et à tout tes désirs, la réponse à tes questions...

- Quelles questions? Je n'en ai aucune! Riposta l'ellon en brandissant son épée

Airin... dame Airin... Se moqua la silhouette oh comme tu voudrais pouvoir passer tes mains sur son corps et la faire soupirer son nom alors que tu la couvre de baisers... oh comme tu aimerais cela, n'est-ce pas?

- C'est faux, je ne nourris pas de telles pensées impures!"

La forme qui avait pris le visage de celle qu'il désirait se mit à rire avec une voix cristalline. Elle s'approcha de lui et posa ses mains sur ses épaules nues, le faisant s'asseoir. Il était comme ensorcelé par cette vision dont il avait maintes fois rêvé. Elle lui semblait tellement réelle qu'il tendit la main pour caresser sa joue, tendrement, avec une émotion aussi sincère que son désir. Elle était tellement belle. Et même si son esprit savait que c'était un démon qui se jouait actuellement de lui, il avait quand même envie de l'embrasser. Que sa peau soit si froide ou chaude, au final, pour lui, elle restait la même.

"Airin...je suis tellement désolé...

- C'est bien, laisse toi sombrer dans les abîmes de la volupté... juste une nuit... et puis tu pourras continuer à jouer les chevaliers servants le restant de tes jours..."

Tout en lui parlant, la créature s'était penché sur lui et avait déposé ses lèvres sur les siennes. Il passa ses mains dans son dos et défit d'une main habile les vêtements de la la "femme". Ceux-ci tombèrent au sol, dévoilant le corps qu'il avait maintes fois imaginé et qu'il s'empressa d'embrasser. Doucement, tendrement comme si c'était vraiment elle. La renversant sur le lit qu'il occupait, écoutant seulement l'instinct primitif qui semblait avoir pris possession de lui.

Au matin, il ne fut pas étonné de se retrouver seul. Il imagina même avoir rêvé sauf que le parfum qui était sur ses draps et les marques qu'il avait sur le corps montraient de la nuit qu'il avait passée. Il ferma les yeux quelques secondes de plus et laissa tout ses souvenirs l'envahir. Comme elle avait été belle, couverte de lui et de son odeur. Et si pendant un temps il retrouva du contrôle sur lui-même, quelques mois plus tard, il recommença à imaginer des choses qu'il n'aurait pas dû.

Sauf que à ce moment-là, quelqu'un d'autre commençait à prendre de la place dans la vie de l'elleth qu'il aimait. Et il n'aimait pas cela. Le frère aîné de Airin, Lasbelin, n'avait jamais été un souci car il lui vouait une grande admiration, pareil pour le roi et son fils avec qui elle entretenait de cordiales relations. Mais elle, cette femme, cette Avelen, il la détestait. Elle qui embrassait sur les joues, serrait contre elle et souriait à sa Airin. Elle profitait simplement de la mort du commandant pour se rapprocher de ceux qui étaient importants. Cette traîne misère que le commandant avait eu la naïve bonté de ramasser dans la forêt.

"Il aurait dû la laisser pourrir là ou elle était"

En entendant ses pensées murmurées à son oreille, il sursauta, pour se retrouver nez à nez avec la créature qui avait partagé son lit, plusieurs mois plus tôt.

"Qu'êtes vous venue faire ici? Sursauta l'ellon en reculant

Tes émotions sont très fortes pour un elfe, la luxure, le désir et maintenant la haine? Je peut tout sentir en toi... Murmura la chose qui l'observait avec moquerie je peut t'aider à la faire tomber, la tête de Avelen Amon pourra un jour être à tes pieds..."

"En tête à tête avec un ange" Les Hors SérieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant