La lune s'était levée, illuminant la nuit de sa pâleur lumineuse. Dans quelques jours – un ou deux, peut-être trois –, elle serait pleine. Aëlys profita de sa lumière pour déambuler dans les rues de Lakeshire, profitant des dernières onces de chaleur dans l'atmosphère, qui allaient bientôt laisser la place à une brise glaciale. Sa capuche toujours sur la tête, elle s'amusa à virevolter dans quelques allées, un peu grisée. Ce quartier de la ville était endormi, calme, silencieux. Sa mission s'était déroulée sans anicroche particulière, et elle se sentait satisfaite. Ezra n'oserait pas s'en reprendre au gang de sitôt, c'était tout ce qu'elle pouvait souhaiter.
Le chemin jusqu'à la planque du gang ne lui prit pas longtemps, mais Aëlys fut surprise de constater l'ampleur de son soulagement lorsqu'elle passa le pas de la porte de la grande maison. Bien sûr, elle avait pris le soin de vérifier qu'on ne la suivait pas, mais revenir saine et sauve était toujours une bonne nouvelle, dans cette ville. Au fil du temps passé dans le gang, elle avait appris qu'être incessamment sur ses gardes, aux aguets, prête à bondir à tout moment, était indispensable si elle souhaitait survivre aux traîtres et aux rivaux et se faire une place.
En descendant jusqu'à la salle de jeu, endroit où se trouvait leur chef la majorité du temps, la jeune brigande vérifia que toutes ses armes étaient bien en place. Ses dagues dans le revers de ses manches. Ses petits couteaux dans ses bottes. Ses lames dans les poches de sa veste. C'était sans doute idiot, mais cela lui avait toujours apporté un sentiment de confiance.
Aëlys enleva sa capuche, défit sa coiffure alambiquée, et secoua ses cheveux bouclés afin qu'ils retombent sur ses épaules. Elle prit une grande inspiration et entra dans la salle de jeu, tâchant de s'armer de patience. Le chef du gang de Lakeshire avait beau être un criminel reconnu, il savait se montrer très acerbe, et, même si cela l'agaçait, Aëlys tâchait de ne pas s'en formaliser. Elle se faufila entre les différentes tables. Les plus jeunes se défiaient au bras de fer ou aux énigmes, et les jeunes adultes préféraient les paris et les cartes. L'argent filait de main en main, on pouvait le sentir à plusieurs mètres.
Dans un coin, le regard sévère, un jeune homme fixait l'assemblée. Sa chemise moulait ses épaules larges et ses bras maigrichons. Intense était le premier mot qui était venu à l'esprit d'Aëlys la première fois qu'elle l'avait vu. Il dégageait quelque chose de puissant malgré sa petite carrure.
— Adel, lui lança-t-elle à brûle-pourpoint en guise de salutation.
Elle attrapa une chaise et s'y installa, faisant face au bandit, qui avait reporté son attention sur elle.
— Alors ? Quel est ton rapport ?
La jeune fille haussa les épaules.
— Tout s'est passé sans trop de problèmes. J'ai dû neutraliser deux de ses gardes, et mes menaces ont bien fonctionné. Le célèbre esclavagiste de Kaät n'est rien de plus qu'un poltron. J'insistais un peu et il mouillait son pantalon.
Peut-être un peu vantard, mais pourquoi se priver du plaisir de prononcer ce genre de paroles ? Aëlys, le temps de quelques instants, se sentit puissante.
— Que t'a-t-il dit ? questionna Adel de sa voix aiguë, pressant.
— Pas grand-chose. Il a d'abord cru pertinent de se moquer de nous alors même qu'il était seul et vulnérable face à moi, qui étais armée, mais il a vite compris que ça ne l'était pas. Il m'a dit que j'étais aussi naïve que les personnes qui croyaient en les légendes, comme celle du Façonneur choisi par les dieux. Il allait partir dans une grande envolée lyrique, mais je l'ai coupé dans son élan. Je ne supporte pas les gens qui parlent à tort et à travers.
La jeune fille se tut un instant, essayant de sonder dans les yeux d'Adel une lueur qui lui indiquerait ce qu'il pensait. Comme d'habitude, elle en fut incapable. Le chef du gang se montrait très doué pour masquer ses sentiments. Il avait eu des années pour apprendre, après le décès de sa sœur jumelle, à garder un masque, une façade impénétrable, pour réussir à tenir et à ne pas se briser. Il aimait rappeler que c'était aussi une de ses forces : il était seul, personne à qui aimer, personne à chérir, personne pour qui s'inquiéter, donc personne à utiliser pour lui soutirer quoi que ce soit. Aëlys se doutait bien que sous la surface se trouvaient des abysses ténébreux, mais elle n'avait jamais tenté de s'y aventurer.
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La Façonneuse
Fantasy𝗨𝗡𝗘 𝗕𝗔𝗡𝗗𝗜𝗧𝗘 choisie des dieux. Un destin hors-normes. Une quête mortelle. Lorsque les dieux missionnent enfin la Façonneuse la plus puissante de tous les temps de l'accomplissement de la Quête, le monde se transforme soudainement. Le...