CHAPITRE 2 - Alexus

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— Monsieur ?... Monsieur ?

Tiré de ses pensées étouffantes brusquement, sans qu'il ne s'y attende, le prince Alexus de Kaät releva la tête de ses livres de sciences physiques. Il y était plongé depuis les premières lueurs de l'aube, c'était à peine s'il avait pris le temps de manger quand son ventre s'était mis à gargouiller quand le soleil avait atteint son zénith dans le ciel. À présent, celui-ci était en train de disparaître derrière les petites collines qui bordaient la ville de Qrisos. La nuit allait arriver sans plus tarder, apportant avec elle les étoiles et les secrets enfouis.

Il était temps d'arrêter d'étudier. Alexus referma son livre en reportant son regard sur le domestique qui s'était placé devant lui, les épaules rentrées et les muscles crispés. À en juger par sa silhouette maigrichonne, il ne devait pas avoir plus de huit ans. Le prince hocha la tête.

— Oui ?

Le petit garçon se balança sur ses pieds, mal à l'aise et impressionné par la figure devant laquelle il se trouvait. Ses cheveux bruns lui tombaient devant les yeux.

— Le roi, Sa Majesté Valeric, vous fait demander dans la salle du trône.

— Merci, lança le prince en se levant, réajustant par habitude le col de sa veste brodée. J'y vais de ce pas. Tu peux disposer.

— Bien, monsieur, répondit le domestique en filant sans demander son reste.

Son père, le roi, l'avait donc convoqué. Que lui voulait-il donc ? Ces dernières semaines, il l'avait laissé vaquer à ses occupations sans trop s'en préoccuper. Le monarque était un bon dirigeant – peut-être un peu antipathique, mais on s'y faisait –, et Alexus avait toujours apprécié sa franchise. S'il le convoquait, c'était qu'il avait une chose importante à lui communiquer. Si le dirigeant de Kaät était connu pour une chose, c'était sa tendance à ne pas parler à tort et à travers sans réfléchir.

Le prince traversa l'aile du château de la bibliothèque pour rejoindre la salle du trône, deux étages plus haut. Les escaliers en colimaçon, faits de pierre, étaient inégaux et cabossés par endroits. L'air était poussiéreux dans cette partie du palais. C'était désagréable. Sans plus attendre, Alexus poussa les portes de la pièce où il était demandé, la tête haute, saluant les gardes d'un hochement de tête discret.

— Vous vouliez me voir, père ?

C'était moins une question qu'une affirmation, une incitation à lui expliquer la raison de sa convocation dans ce lieu sacralisé qu'était la salle du trône. Le prince partageait un point commun avec son père : il n'aimait pas se perdre dans de grands détours inutiles. Autant aller droit au but. Le monarque, confortablement installé sur son siège, se noyant dans une mer de capes et de tissus tous plus chers les uns que les autres, salua son enfant d'un sourire en demi-teinte, aussi sombre qu'éclatant. Il indiqua à Alexus de se placer devant lui.

— Bonsoir, mon fils.

Le jeune homme passa une main couverte de bagues en métaux rares et pierres précieuses dans ses cheveux bouclés. Le potentat le détailla sous tous les angles : la chemise qu'il portait jurait avec sa peau brune et la couleur chatoyante de sa veste. Regrettable. Le futur roi avait toujours montré de plus grandes facilités pour les études et la stratégie que pour la mode. Cependant, son maquillage jurait avec sa tenue dépareillée. De belles volutes dorées dansaient sous ses yeux, et on pouvait apercevoir une légère couche de fard à paupières faire briller ses pupilles. Ce qui apparaissait comme une frivolité stupide aux yeux des habitants d'E'kald et de Shade étaient des signes de puissance au sein des familles les plus nobles du royaume de Kaät.

— Si je t'ai fait convoquer, c'est parce que je voudrais te confier une mission.

— Dites, Votre Majesté, répondit Alexus en s'inclinant face à son père, comme le voulait le protocole.

La FaçonneuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant