CHAPITRE 14 - Aëlys

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L'univers se brisa en des millions de petits morceaux. L'espace implosa et le temps se figea.

Et Aëlys réintégra son corps.

Elle le sentit à peine s'effondrer sur le sol, dans un bruit mat et l'élévation de plusieurs nuages de poussière qui se dirigèrent droit vers ses poumons. Mais la jeune fille n'eut même pas le temps de pousser, de grogner ou de relever la tête. Un cri, plein de rage, se fit entendre :

— Mais attrapez-la, par Einar, vous voyez bien qu'elle est inoffensive, maintenant ! Attrapez-la et neutralisez-la !

Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour qu'un grand fracas de métal et de frottement de bottes sur les pavés se fasse entendre. Sans même pouvoir réagir, Aëlys sentit qu'on lui attrapait violement les bras et qu'on la redressait de force, qu'on la secouait sans ménagement. Elle se sentait mal, comme si elle allait vomir. Comme si on secouait ses entrailles. Le monde semblait bouger au ralenti, les bruits étaient étouffés, on aurait dit qu'elle avait la tête plongée dans du coton. S'était-elle imaginé des choses ? Avait-elle rêvé ? Que s'était-il passé ? Elle avait comme un énorme trou de mémoire. Plusieurs minutes durant, elle avait été ailleurs.

Et quand elle réussit à se souvenir, un fourmillement parcourut l'entièreté de son être, brûlant ses doigts, son ventre, ses épaules, sa gorge, son âme, l'électrifiant doucement. Ses yeux s'agrandirent, ses pupilles se dilatèrent, et elle sortir de son état amorphe en un clin d'œil. Quelque part, au fond d'elle, elle l'avait. La certitude.

C'était une présence. Une présence complètement aliénante, qui la submergeait. Elle savait. Elle savait qu'elle avait cette chose en plus, tout au fond d'elle. C'était évident. Le pouvoir. Le pouvoir infini. La capacité de jouer avec le matériel, de le façonner au gré de ses envies. De faire du monde tout ce qu'elle voulait faire de lui. Elle pouvait tout détruire, et elle n'allait pas s'en priver. À partir de maintenant, rien ni personne ne pourrait se dresser face à elle, la contraindre de mener une vie misérable. Elle ne mangerait plus jamais les restes, les miettes moisies obtenues au péril de sa vie. Elle ferait ployer le monde sous le poids de ses ressentiments.

Peinant à respirer, Aëlys fut conduite avec violence et crainte devant l'homme qui semblait être le chef du groupe de soldats. Ces derniers avaient beau tenir ses bras fermement pour qu'elle ne s'échappe pas, elle remarquait bien les effluves de leur crainte. Ils la fixaient comme s'ils pouvaient brûler instantanément rien qu'en la touchant. Alors, une évidence la frappa. Ils n'arrivaient pas encore à y croire. Le choc était trop important, mais leur inconscient était bien au courant qu'elle représentait dorénavant un danger conséquent pour eux.

On finit par l'arrêter, épuisée, devant le commandant. Aëlys, pliée en deux, haletait en tentant de faire entrer de l'air dans ses poumons. Elle remarqua la tunique blanchâtre de l'homme, collée par endroits à la peau de son ventre, de ses épaules et de ses bras par des tâches de sueur. Elle les avait bien fait courir. Sa ceinture était composée de plusieurs bandes de peau de chèvre teinte, et le fourreau de son pistolet était soutenu par deux boucles d'étain brillant. D'accord. Elle avait intérêt à ne pas relâcher son attention par rapport à ça. Il n'était pas recommandé qu'elle se prenne une balle par accident. La bandite fonça les sourcils, et elle roula d'une épaule pour se préparer à la bataille.

Mais sa réflexion fut interrompue par la voix d'un des soldats, qui la secoua violemment.

— Reste tranquille, toi !

Sa voix. Sa voix troubla Aëlys. Elle l'entendait. Cette pointe de peur, de crainte. D'effroi. Masquée par un ton autoritaire et sûr de lui, mais bel et bien là. Impossible de le nier. Elle les effrayait. Et elle ne put retenir un léger sourire à cette pensée. Elle reprenait son souffle, petit à petit, le corps fébrile et le visage bardé de traces de poussière et de crasse. Elle attendait quelque chose, un signal, pour exploser. Enfin.

La FaçonneuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant