CHAPITRE 15 - Solveig

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— Votre Altesse, la reine vous fait savoir que l'heure approche et que vous devez bientôt vous rendre en salle de réunion.

— Je sais, par Rune, Einar, June et tous les autres, je suis au courant ! s'écria Solveig, excédée, par-delà les hauteurs de son paravent. Ma mère me l'a répété suffisamment de fois aujourd'hui pour que je puisse réciter l'horaire, le lieu et la liste de ce dont nous allons parler dans mon sommeil. Je serai à l'heure, alors dites-lui de cesser d'envoyer des domestiques pour me presser !

Elle se débattait avec les rubans et les cordes de son corset, qui avaient été nouées bien trop fort pour qu'il fût possible de les défaire. La jeune femme avait eu beau protester à cor et à cri auprès de sa mère et de ses servantes, elle s'était vu imposer le port de cet instrument de torture auquel elle faisait d'habitude défaut. La souveraine avait justifié ce choix par le fait qu'il s'agissait d'une réunion officielle et bien trop importante pour y laisser paraître sa fille de manière négligée. Je te laisse déjà courir sans dans tous les recoins du palais, ce qui n'est pas correct, alors je refuse que tu pousses le bouchon jusqu'à te montrer ainsi devant les représentants officiels du royaume de Kaät, l'avait-elle sermonnée.

Elle avait réussi à la faire rentrer dedans, mais elle ne l'obligerait pas à le porter. Après tout, si elle voulait que Solveig soit sa digne successeuse sur le trône, il faudrait que celle-ci devienne une politicienne hors pair. Et qui disait politicienne hors pair disait obligation de s'affirmer et de ne pas laisser d'autres lui dicter la conduite à avoir. Alors la princesse d'E'kald se tortillait devant son grand miroir, essayant tant bien que mal de se libérer de sa prison. Elle ne laisserait aucune stupide règle de bienséance douloureuse contrôler son corps.

Voyant que les cordes avaient été trop serrées et qu'elle avait du mal à les atteindre avec ses bras pliés dans le dos, elle se résigna à tout couper. Tant pis. Sa mère serait furieuse et lui passerait un savon, mais elle ne réussirait pas à lui faire ressentir de la culpabilité. Elle n'en avait cure. Surtout qu'après ce qu'elle avait prévu d'annoncer à la réunion, son refus de porter un corset ne serait plus que le cadet des soucis de la reine.

Elle laissa choir l'instrument sur le sol en sentant son bassin retomber en avant et la pression étouffante sur ses côtes disparaître d'un coup. Oh, tiens. Respirer librement faisait donc ça, comme sensation. La princesse s'étira et enfila une de ses brassières élastiques, de la même couleur que sa chair. C'était déjà moins douloureux. Poussant un soupir, elle cacha grossièrement la robe qu'on lui avait envoyée le matin même sous son lit en grimaçant à l'entente du frottement des tissus les uns contre les autres et au tintement des chaînettes d'or avec les rubis incrustés à leur bout. Elle espérait ne jamais avoir à porter toute cette fanfreluche qui réduisait sa capacité de mouvement à l'extrême. Elle avait besoin de liberté, Solveig.

Alors, elle enfila une tunique blanche aux manches bouffantes, une longue ceinture de cuir, un pantalon bordeaux, et une paire de grandes bottes du même modèle que celui que portaient les mercenaires et les riches pirates. Puis elle s'employa à débarbouiller sa figure de toutes les couches de maquillage que ses domestiques lui avaient étalé, et à défaire sa coiffure pour laisser retomber ses cheveux blonds sur ses épaules. Ce que son reflet lui renvoyait dans le miroir lui ressemblait, maintenant.

— J'arrive, lança-t-elle au domestique qui faisait le pied de grue devant les portes de ses appartements. Faites-moi annoncer.

L'homme, tiré de ses réflexions, gratta sa barbe en quittant son poste. Parfait. Elle ne voulait pas avoir à se coltiner la présence de qui que ce soit avant de se retrouver en face de sa mère. Sur le trajet jusqu'à la salle de réunion, la princesse eut le temps de penser à mille scénarios sur la réaction de sa mère, allant du plus probable au plus farfelu. Elle savait avec certitude que la reine la fixerait d'un mauvais œil, offrirait son plus beau sourire à ses invités, puis l'enguirlanderait une fois qu'elles se retrouveraient toutes les deux. Mais cela l'amusait de l'imaginer faire un coup d'éclat au milieu des représentants de Kaät et de ses ministres, ou de la voir se transformer en une créature maléfique qui traduirait l'étendue de sa colère.

La FaçonneuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant