Part 3 - Chapitre 1 : L'apprentie (2/4)

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LE PESSIMISME DE LA FEMME NOIRE


« J'aime pas marcher toute nue dans la rue, » cria Nina en tirant sur son t-shirt pour empêcher sa grand-mère de l'enlever.

« Nina, tu sais ce qui va arriver si on sort avec nos vêtements chauds, » rétorqua la femme alors qu'elle haussa légèrement le ton. Elle regarda la fillette, droit dans les yeux.

« Mais il fait froid, » se défendit cette dernière tandis qu'une moue se dessina sur son visage. Elle croisa ses bras sur sa poitrine en guise de refus.

« Justement Nina, c'est pourquoi il nous faut les garder en sécurité pour nous tenir au chaud lorsqu'on en a besoin. Ils vont nous les prendre autrement et on risque d'avoir froid tout le temps, » expliqua la grand-mère avec calme.

« Pourquoi tout le monde vole tout à tout le monde, c'est pas juste ! » interrogea la fillette tandis que sa moue ne la quittait plus.

« Parce qu'ils sont vides de l'intérieur, donc ils essaient de se remplir avec tout et n'importe quoi, » répondit la grand-mère. Un voile de tristesse vint se poser sur sa figure fatiguée.

À 42 ans, noire américaine dans une agglomération des États-Unis, elle en avait déjà vécu des injustices dans sa vie de femme. Non, la vie dans une mégapole nord-américaine n'avait pas souvent été juste pour la majorité de ceux dont l'identité était marquée par les mots : femme, noire, pauvre, sans diplôme. Elle n'avait jamais imaginé que le monde pouvait tomber plus bas que là où il l'avait placé : mère à l'âge de treize ans suite à un viol par un ami de famille, elle avait élevé son enfant en essayant tant bien que mal de terminer sa scolarité au collège. Sa dyslexie sévère avait toujours rendu pénibles les études depuis son plus jeune âge.

Tous les hommes dans sa vie l'avaient soit manipulée, soit maltraitée, soit abandonnée, soit abusée donc elle avait finalement décidé de s'écarter d'eux pour mieux se consacrer à la vraie raison de vivre dans sa vie : sa fille qu'elle avait conçue par le biais de l'acte criminel d'un homme sur son corps d'adolescente. Elle avait mis un bébé au monde et ce dernier semblait vouloir vivre. Ce dernier pleurait constamment tout en lui donnant beaucoup de joie à sa grande surprise. Elle avait souhaité garder cette enfant malgré tout parce qu'après tout, on lui avait cette fois-ci accordé le choix. L'un des rares qu'il ne lui avait jamais été donné de de toute sa vie : offrir ou reprendre la vie.

Consentir, décider, questionner tels étaient les objets de luxe inaccessibles de son existence de femme, noire, pauvre, sans diplôme dans une grande ville nord-américaine. L'histoire se répétait pour elle, comme le remake d'un film hollywoodien à succès. Elle s'occupait de sa petite-fille comme si elle était la sienne. Celle qu'on lui avait littéralement arrachée des bras dans la rue pour mieux la démembrer sous ses yeux parce qu'elle portait un sac de nourriture.

Pourquoi la déchirer en petit morceau ? Prenez juste le sac et laissez-lui sa fille...

La femme avait toujours trouvé les personnes au visage pâle ou sombre au pouvoir dans son pays, hommes comme femmes, avares et cruels, mais elle était bien forcée de constater que leur machine avait surpassé leurs créateurs dans les deux matières. Les cyborgs ne ressentaient rien pour les hommes sans distinction de couleur de peau, sexe, richesse, éducation et statut social. Telle était l'ironie de l'histoire des êtres-humains avares et cruels qui se voulaient tout-puissant. Cependant, le malheur de l'humanité fût que dans leur chute, les plus cupides d'entre eux avaient entraîné tous les autres ; l'ensemble de leur espèce y passerait, y compris ceux qu'ils avaient toujours méprisé.


***

Nina marchait au côté de sa grand-mère, main dans la main. Son petit corps tremblait à cause du froid ; elle se serrait contre la hanche nue et molle de la femme en étreignant très fort sa main dans la sienne. La quarantenaire avançait d'un pas décidé tandis que son regard scannait à cent quatre-vingt degrés tout autour d'elle la tête droite. Le miracle de la nourriture pouvait se trouver à chaque coin de rue, mais il fallait être discret et rapide. Elle amenait la fillette malgré le danger pour lui apprendre comment naviguer l'environnement dans lequel elle était vouée à grandir à moins d'un miracle. Dans un monde comme celui-ci, cela ne servait à rien de la couver. Le meilleur espoir de la voir grandir jusqu'à l'âge adulte était de lui apprendre très tôt quand et comment se défendre, attaquer, faire le mort pour survivre, se relever et aller toujours de l'avant sans se retourner.

Tu SurvivrasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant