Chapitre 2

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Assise dans le métro qui me ramène chez moi, je regrette déjà d'avoir capitulé. Ces soirées mondaines, un concentré de superficialité, m'ont toujours exaspérés mais malgré tout je ne pouvais pas refuser. Mes parents ont fait tellement pour moi que leur dire non aujourd'hui m'est presque impossible. Plus jeune je n'ai pas toujours été une petite fille modèle et à mon adolescence mon père a relayé sa carrière au second plan pour m'offrir une vie plus ou moins normale. J'ai beau détester le monde dans lequel j'ai grandi, je leur serai toujours redevable. Alors, me pointer à une soirée de petits riches parisiens, plus intéressés par leurs vacances aux Fidji que par l'avenir de la planète, c'est le moins que je puisse faire pour les remercier. Rien à foutre de l'écologie quand tu es plein au as. Au pire ils construiront un bunker pour survivre à la fin du monde et au mieux, ils seront morts depuis bien longtemps, six pieds sous terre entourés de tout leur fric.

Parmentier.

La sonnerie annonçant la fermeture des portes me sort de mes pensées. De justesse, je me jette hors du métro deux secondes avant qu'elles ne se referment.

Et merde. Plantée sur le quai, la mine déconfite, je contemple le métro s'enfuir à toute vitesse dans le long tunnel sombre, emportant avec lui mon foulard Hermès et mon sac de courses.

La porte de mon appartement à peine passée, j'ôte mon trench beige à toute vitesse et le balance sur le portemanteau qui tombe au sol dans la précipitation. Quelle idiote. Pourquoi faut-il que je sois toujours aussi maladroite ?!

Ma petite robe, mes collants et ma culotte de grand-mère spécial ventre plat tombent sur le parquet en deux temps, trois mouvements.

Mon téléphone vibre. C'est Emma, ma meilleure amie depuis la maternelle. Je cale comme je peux mon téléphone entre ma joue et mon épaule et tente de dégrafer mon soutien-gorge à l'aide de mes mains libres.

Au bout du fil, Emma hurle de sa voix fluette, presque stridente :

- Coucou ma biche !! Comment tu vas ? On se retrouve au Sun ce soir ?

- Désolée Em', j'ai promis à mes parents de les accompagner à l'inauguration de la nouvelle boutique Dior... On remet ça à plus tard d'accord ?

- Une inauguration ? Tu vas t'ennuyer si tu y vas toute seule...

- A mourir ! Je dois te laisser, je ne suis pas en avance ! A plus Em', je t'aime.

La grosse horloge sur le mur de la cuisine américaine indique 18h15. Le chauffeur envoyé par mon père arrive dans 45 min et je suis loin d'être prête. Malgré mes efforts pour lui expliquer que le métro aussi, c'était pratique pour se rendre à une soirée, même huppée, il ne voulait rien entendre.

Jamais je ne m'étais lavée, rasée, coiffée aussi rapidement. Délicatement posée sur mon lit, une magnifique robe noire Chanel, offerte par Karl Lagerfeld lui-même le jour de mes 21 ans -bon d'accord, ça a quand même des avantages d'avoir un père qui bosse dans le luxe-, attend impatiemment que je l'enfile. Enfin prête, je marque un arrêt devant le grand miroir du salon, dans lequel je ne me reconnais pas. La fine dentelle de ma robe tombe juste au-dessus de mes chevilles valorisées par mes hauts talons. De longues boucles dorées s'échappent de mon chignon et rebondissent gracieusement sur mes épaules nues. D'habitude, je ne me trouve jamais assez belle, jamais assez mince, mais ce soir, il me semble être une étrangère. Comme si mon reflet ne m'appartenait plus.

J'observe attentivement les courbes de mon visage dans le miroir.

Par la vitre du taxi, Paris défile sous mes yeux. Je repense à ma conversation avec Emma. Elle et moi sommes amies depuis 20 ans, et du plus loin que je m'en souvienne, on partage tout. Je l'ai soutenue après que son père ait quitté sa mère, les laissant sans le moindre sou, et lorsque la mère d'Emma n'avait pas assez d'argent pour nourrir sa fille, c'est moi qui partageais mes repas avec elle. On avance depuis toujours, main dans la main, dans l'étrange chemin qu'est la vie, inséparables et complémentaires telles le ying et le yang. Je suis la glace et Emma le feu ; j'aime la littérature et l'art alors qu'Emma préfère le strass et les paillettes ; je suis introvertie, Emma extravertie ; l'une préfère la vanille, l'autre le chocolat.

Et puis, à notre entrée au lycée, notre duo s'est doucement transformé en un trio infernal. Ach, nous a rejoint. Ach, le mal alpha. Ach, la testostérone. Il était la pièce manquante à l'équation : deux filles, un garçon, le trio insolite. Mais en grandissant, Ach et moi sommes devenus très proches. Les parents d'Ach sont tous les deux de grands producteurs de cinéma, ce qui explique certainement sa passion pour le théâtre et son rêve de devenir acteur - et ce sans piston, aucun. De ce fait, nous côtoyons souvent les mêmes soirées mondaines, alors qu'Emma, malgré la pension alimentaire mirobolante que son père versait à sa mère, n'a jamais eu les mêmes moyens que nous. Ach et moi faisions les quatre cents coups ensemble lors de ces soirées et il va s'en dire que ça nous a véritablement rapprochés. On sait tous les trois - même si cette vérité n'a jamais été prononcée à voix haute - que je suis la meilleure amie d'Ach et qu'Emma, malheureusement, n'est que la meilleure amie de sa meilleure amie. Alors je fais de mon mieux pour qu'Emma ne se sente pas trop à l'écart en l'invitant à des soirées mondaines quand j'en ai l'occasion ou en lui prêtant des robes haute couture, mais rien y fait, je me sens coupable. Parfois je me dis que si Ach avait préféré Emma, tout aurait été plus simple.

Le chauffeur arrête la voiture place Vendôme.

- Merci infiniment Fred, dis-je au chauffeur en lui tendant un billet de 20 euros. Tenez, c'est pour vous, bonne soirée !

- Merci mademoiselle Larché. Passez une excellente soirée, et saluez votre père pour moi. 

Les antithèsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant