Les antithèses

Chapitre 12

Le couloir menant aux loges est long et étroit. Au fond, une dizaine de personnes discutent devant une porte qui semble être celle de la loge du groupe. Emma s'approche énergiquement en les saluant. Elle est depuis toujours la plus sociable de notre trio. La plupart des personnes présentes sont des hommes, d'une vingtaine d'années, vêtus de jogging et de casquettes, sûrement des amis de Finn. Pourtant, parmi cette masse de testostérone se trouve une grande blonde qui retient toute mon attention. Ses longs cheveux raides décolorés retombent sur sa généreuse poitrine moulée par un simple bandeau noir. Elle porte une mini jupe ultra moulante et des talons hauts. Mais c'est surtout son regard, d'un noir intense me dévisageant de la tête aux pieds qui m'inquiète le plus. Elle s'avance vers moi en titubant et se retient au mur pour ne pas tomber. Cette fille à l'air totalement défoncée.

- C'est toi Iris ? Moi c'est Maëva.

Il y a tellement de mépris dans sa voix que je me sens obligée de répondre :

- Exact. Finn est à l'intérieur ?

- Fait la queue poufiasse, j'étais là la première.

Oh non, je déteste les conflits. Je suis déjà mal à l'aise rien qu'à l'idée d'être venue à un concert parce qu'un mec que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam m'a invité, il fallait en plus que je me fasse embrouiller par une blondasse bourrée. Des yeux, je cherche le soutien d'Ach ou d'Emma mais ils sont absorbés dans une conversation et ne semblent pas prêter attention à moi. Profitant de mon mutisme, la blondasse en rajoute :

- Regardez les gars ! Finn est tombé bien bas pour préféré cette potiche coincée à moi !

Son regard de garce m'inspecte de la tête au pied, du haut de mon crâne à la pointe de mes Converse. Je discerne même une once de dégoût lorsqu'elle s'attarde sur ma longue jupe à fleurs. A présent, tous les regards sont braqués sur moi. Super.

- C'est pas parce que t'es à poil que t'es bonne meuf, calme toi.

Ach n'hésite pas à prendre ma défense tel un chevalier servant venant sauver sa princesse. Sauf qu'il est gay, mais c'est presque pareil.

Maëva se met à pouffer de rire avant de reprendre de plus belle :

- Regarde là, elle est dégueulasse avec ses cheveux crépus ! Elle est habillée comme ma grand-mère et en plus, on dirait qu'elle a perdu sa langue !

Cette fois, c'est trop. Je m'apprête à répondre lorsque, sans prévenir, Emma se plante devant Maëva et lui colle son poing si violemment sur la figure qu'elle s'étale sur le sol.

Ach explose de rire et applaudit avant de prendre ma main et de me tirer vers la sortie.

Une fois dehors, j'explose :

- Merde ! J'aurais dû lui rentrer dedans à cette salope. J'aurais dû dire quelque chose ! Je suis tellement conne ! Pourquoi est-ce que je n'ai absolument rien dit ?

Je fais les cents pas sur le trottoir en attendant le taxi. Ma cigarette est si serrée entre mes doigts que le filtre est tout plat.

- Laisse tomber sérieux, cette meuf n'en vaut pas la peine, dit Ach.

- Non mais vous vous rendez compte que cette pétasse est son ex ? Elle a raison au fond. Il se moque de moi... C'est clair que je ne suis pas du tout son genre.

- Bichette, tu es le genre de tout le monde, me rassure Emma. Tu es belle et intelligente, tout l'inverse de cette fille, crois moi. Je ne regrette pas de l'avoir frappée !

- Merci Em', tu es la meilleure, rétorqué-je en la serrant dans mes bras.

A cet instant, mon portable vibre dans mon sac.

« T'es ou ? Je te cherche partout »

- Quel enfoiré ! Tu m'étonnes qu'il me cherche ! Sa petite copine a dû lui raconter ce qu'il s'est passé.

- Tu ne veux pas retourner le voir ? Il n'y est pour rien.

- Merci Ach mais non, je pense m'être fait suffisamment humilié pour aujourd'hui.

Le Uber s'arrête devant nous et je grimpe dedans sans un regard pour mes amis. Je risque de m'écrouler à tout moment si mon regard croise un des leurs. Je leur adresse un signe de la main avant de demander au chauffeur de démarrer.

Assise à l'arrière de la BMW, je ressasse les événements depuis ma rencontre avec Finn. Jusqu'à présent, rien ne s'est déroulé facilement. Cette relation semble déjà semé d'embuches, alors qu'on ne se connait à peine. A quoi bon ? Nos mondes sont tellement différents, nos vies aussi. J'ai été si bête d'imaginer que je pourrais être ami avec un mec qui se moque tout le temps de moi. C'est tout moi ça, toujours prête à sauter pieds et poings liés dans des relations perdus d'avances, simplement pour me prouver à moi-même que ma vie n'est pas ennuyante au possible. La vérité c'est qu'elle est déjà toute tracée. Je suis destinée à épouser un jeune banquier, ou un homme politique. Peu importe s'il m'aime ou s'il est fidèle, tant qu'il est riche. Nous vivrons dans un grand appartement parisien et passerons les étés dans notre villa sur la Côte. Nos enfants seront blonds et bêtes, mais iront dans des écoles privées super chères. Une fille, un garçon, Louise et Arthur. Notre existence puera l'hypocrisie et l'ennui, mais de cette façon je suivrais le chemin familial imposé par maman et grand-mère avant moi, et papa sera fier de moi. Finn, lui, a grandi dans une cité. Il n'a pas fait beaucoup d'études. Son avenir c'est sa passion, le rap. Le rap et les concerts remplis de poufs assoiffés de gloire et de sexe. Il me l'a avoué lui-même, les filles se battent entre elles pour lui sucer la queue. Grand bien lui fasse. Au fond de moi je sais que je ne suis allé à ce concert que pour relever un défi. Pour me prouver que je pouvais sortir des sentiers battus si je le voulais, et aussi un peu parce que j'aime bien les causes perdues.

Affalée sur le siège arrière, j'observe Paris plongé dans la pénombre. Ma décision est prise, Finn et moi sommes trop différents pour nous entendre. Malgré tout, le souvenir de cette blondasse me ridiculisant devant tous ses amis me blesse. Une question en particulier trotte dans mon esprit : je m'habille vraiment comme une grand-mère ?