Chapitre 5

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- Le concert était si mauvais ?

Quoi ? Une voix grave interrompt mes pensées. Ne peut-on pas penser en paix, ne serait-ce qu'une seule fois par jour ? J'étais si en colère en sortant du hall de l'immeuble que je n'avais pas remarqué que le rappeur à la casquette grise était adossé contre le muret d'une sortie de parking, à un mètre de moi.

J'essuie rapidement mes larmes du revers de la main avant de reprendre :

- Pardon ?

- Tu ne pleures pas à cause du concert j'espère ? Je sais que vous n'avez pas l'habitude d'écouter du rap, vous les petits bourges, mais de là à pleurer...

Il y a du charisme dans sa voix grave.

- Non le concert était pas mal. Mais je ne suis pas une petite bourge.

- Ah non ? Pourtant tu pleures à la sortie des cocktails dans une robe Dior.

- Chanel. C'est une robe Chanel, dis-je, irritée.

Il explose de rire :

- Tu te payes des robes au prix de mon salaire annuel et tu oses me dire que tu n'es pas une petite bourge ?

La facilité de cet inconnu à se moquer de moi commence à m'agacer.

- Et toi tu ressembles à un voyou, à un délinquant avec ta casquette ! En es-tu un pour autant ?

- Peut-être bien.

D'un geste las, je m'accoude au rebord du muret derrière moi, tournant ainsi le dos au rappeur. L'écran de mon téléphone portable affiche 23h35 et la température s'est nettement rafraîchie depuis que j'ai quitté mon appartement en début de soirée. Mes yeux se détachent du sol pour contempler un instant la place bercée par la lumière des réverbères. Tout autour, les hôtels particuliers et les boutiques de luxe dont les vitrines seulement sont éclairées, encerclent l'imposante colonne au centre de la place. Mis à part le son des sirènes de polices et quelques brefs coups de klaxon provenant des rues adjacentes, la place est d'un calme inhabituel pour le cœur parisien. Les voitures qui d'habitude traversent le rectangle d'or sont étrangement absentes. Devant cette vue magnifique, je réalise que, malgré cette soirée épouvantable, j'ai de la chance. La chance d'être née ici et non dans un bidonville au Mexique. La chance d'avoir des parents aimants et dévoués contrairement à ma mère qui a perdu les siens à 14 ans, dans un accident de voiture.

Une fois ma cigarette terminée, je jette mon mégot dans une bouche d'égout et, sans un regard pour l'homme à mes côtés, entreprend de retourner à l'intérieur.

- Tu oublies ton sac, petite bourge !

Le rappeur attrape mon bras avant que je ne franchisse la porte du hall.

- Merci pour le sac, mais ne m'appelle pas comme ça !

- Comment veux-tu que je t'appelle, je ne connais pas ton prénom, dit-t-il en me tenant la lourde porte en bois.

- Iris.

- Alors, à bientôt, Iris.

Quel culot. Comme si on allait se revoir.

Après avoir salué mes parents et feint de m'intéresser aux derniers ragots de quelques connaissances, je décide de rentrer chez moi. De retour sur la place déserte, je fouille mon sac à la recherche de mon téléphone pour commander un Uber mais à mon grand étonnement, mon portefeuille a disparu. Pourtant, je n'ai pas quitté mon sac de la soirée...

- Quel connard !

J'ai hurlé sans m'en rendre compte et un jeune couple me dévisage avec dédain.

Je n'en crois pas mes yeux. La seule personne qui a égayé un tant soit peu ma soirée et qui m'a changé les idées alors que je me sentais salie et perdue, m'a en réalité manipulée depuis le début. Pour un simple portefeuille ? Et dire que je le trouvais « intéressant ». Il m'avait prévenu qu'il était un voyou... Quelle idiote je suis. En essayant d'extirper mon portable de mon sac, un billet tombe sur les pavés. Dessus est inscrit au crayon à lèvres un numéro de téléphone portable. Oh non, il n'a pas osé ? Mon crayon à lèvre Yves Saint Laurent est bousillé. Ma rage grandit doucement. Comment peut-il voler mon portefeuille, massacrer mon crayon hors de prix et laisser son numéro de téléphone ? Il croit que la « petite bourge » va trouver son comportement sexy et se pressera de l'appeler ? Il se met le doigt dans l'œil ce blaireau.

Les antithèsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant