Chapitre 9

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Très vite toute la bande déserte l'appartement et nous nous retrouvons tous les deux dans le salon.

- Je vais y aller aussi.

Je n'ai pas spécialement envie de retrouver mon appartement vide, mais rester ici toute seule avec Finn serait trop bizarre. J'attrape ma veste en cuir et mon sac sur le fauteuil.

- Alors on est quitte ?

Devant ma mine perplexe, il continu :

- J'ai volé à ton secours, ça efface ma dette pour le portefeuille, non ?

- On est quitte.

- Tu ne veux pas rester un peu ? Je comptais me faire chauffer une pizza et bosser sur mon album mais on peut faire autre chose si tu veux.

La proposition est tentante mais ce n'est pas dans mes habitudes de rester seule avec des garçons rencontrés la veille. D'un autre côté, l'idée de me retrouver seule me donne la chair de poule.

- Ok pour une pizza et ça ne me dérange pas de te regarder composer.

Je repose mes affaires sur le fauteuil en cuir matelassé et m'installe dans un coin du canapé. Le salon carré est petit mais bien agencée. La plupart des murs sont tapissés de posters de groupe de rocks des années 80 et d'affiches de films, sauf un qui est resté blanc, apportant de la luminosité à la pièce. Finn passe sa tête par la porte de la cuisine.

- Désolé mais je n'ai qu'une quatre fromages et une végétarienne... Tu veux que je descende acheter des pizzas avec du jambon ?

- Non, je ne mange pas de viande.

Un large sourire traverse son visage.

- Moi non plus. Ce sera une quatre fromages alors. 

Il revient quelques minutes plus tard, la pizza dans une main, deux bières dans l'autre.

- Je n'aurais pas dû te juger aussi rapidement. T'es plutôt coriace pour une petite bourge.

Je me prépare à rétorquer lorsque le nom d'Emma s'affiche sur mon téléphone, que je ne décroche pas. J'ai totalement oublié mon rendez-vous avec elle et Ach, ce soir. Tant pis, ils comprendront. Et au pire, peut-être que leur rancœur envers moi leur permettra de se rapprocher un peu. Pour l'instant j'ai d'autres chats à fouetter, notamment savoir d'où lui vient ce surnom ridicule.

- Pourquoi tu me surnomme comme ça alors que tu ne me connais pas ?

- Parce que même si je ne te connais pas, je connais les filles. Surtout celles de ton milieu.

Je m'énerve gentiment :

- Mon milieu ? Tu m'as vu une seule fois à une soirée mondaine dans une robe hors de prix et tu me catalogues comme une bourgeoise snobinarde ? 

- Je connais les femmes qui ont grandi avec une cuillère en or dans la bouche. Les petites garces qui courent les soirées de riches en robe de créateurs en pensant tout savoir de la vie alors qu'elles vivent dans une bulle invisible qui les empêchent de voir plus loin que le bout de leur nez.

Je sais très bien de quelles filles il parle. J'en ai côtoyé toute ma vie. Il retire enfin sa casquette et passe une main dans ses longs cheveux bruns pour les plaquer en arrière, mais une mèche rebelle lui retombe sur le front. Il a un air de John Travolta dans Grease. Finn est plutôt sexy, je dois l'avouer.

Il continue :

- Ces filles là ce sont les mêmes qui viennent à mes concerts et attendent des heures devant ma loge pour me sucer la queue avant d'aller le raconter à leurs copines superficielles qui puent le fric et l'hypocrisie.

- Je te trouve un peu dur. La plupart de ces filles n'ont juste aucune idée de comment se comporter. Quand tu es habitué à avoir des parents absents et des cadeaux comme seuls signes d'affection, tu fais comme tu peux pour t'en sortir. Alors oui, ça passe par coucher avec des hommes connus ou puissants pour se la raconter derrière. Mais dans un monde où seules les apparences comptent, est-ce vraiment un crime ? C'est peut-être la seule façon qu'elles ont trouvé pour s'aimer un peu, à travers le regard des gens... Elles sont juste paumées et malheureuses, parce que oui, surprise, l'argent ne fait pas le bonheur ! 

Je me rends compte que j'ai parlé plus sèchement que je ne l'aurais voulu, alors je tente un sourire pour adoucir ma tirade. Finn croque dans un bout de pizza en fixant l'immense affiche Pulp Fiction au-dessus de la télé écran plat en face du canapé.

- Toi t'as l'air différente.

Il se tourne vers moi, et ses paroles me donnent des frissons.

- Une jolie fille en larme à la sortie des fêtes, ce n'est pas courant. Et pourtant, tu ne te laisses pas marcher sur les pieds. Tu me tiens tête, ça non plus ce n'est pas courant...

Je ne sais jamais comment réagir aux compliments. Est-ce qu'on peut dire que c'est un compliment d'ailleurs ? Je me contente de sourire et de recentrer la conversation.

- Je n'aime pas que tu m'appelles comme ça.

- C'est affectueux.

Finn prononce sa phrase avec des yeux malicieux, très loin du regard furieux qui me fusillait quelques heures auparavant. Et son sourire s'est transformé lui aussi, tout comme l'ambiance, à présent chaleureuse, qui règne dans la pièce. Ce sourire franc qui révèle ses dents blanches et bien alignées me fait plus d'effet qu'il ne devrait. En fait, sa compagnie n'est pas si désagréable et même si je ne lui dirais pas, j'apprécie la façon dont il me voit. J'ai l'impression qu'il m'a cerné mieux que personne, en si peu de temps. Toute ma vie, je me suis sentie différente des autres filles, en ayant des hobbies différents, en fréquentant des gens extérieurs à ce monde, allant même jusqu'à choisir une profession à l'opposé des strass et des paillettes dans lesquels j'ai grandi.

Ma montre indique qu'il est déjà 22h45.

- Je vais y aller, je travaille demain et il est déjà tard.

- Je te raccompagne en bas, c'est plus sûr.

Finn me tend mes affaires et enfile un gros sweat en coton Abercrombie. J'apprécie qu'il s'inquiète pour moi mais je peux me débrouiller toute seule.

- Tu ne m'as pas dit pour quel journal tu travaillais tout à l'heure.

- Vox. C'est un journal indépendant qui aborde des sujets de société mais aussi culturel, lifestyle et politique.

Il se contente de me répondre d'un haussement de sourcil moqueur.

- Ca t'étonne ?

- Non c'est juste que je m'attendais à ce que tu taffes pour Le Figaro ou un truc dans le genre.

Je ris à gorge déployée avant de répondre :

- Plutôt mourir que de bosser pour ces fachos.

Finn me lance un regard rempli d'approbation.

- La petite bourge est pleine de surprise on dirait.

Le Uber m'attend en bas de l'immeuble. Finn m'ouvre la portière, tel un gentleman.

- Mes gars et moi, on passe sur scène demain soir à la Bellevilloise, tu viendras ?

- On verra.

Les antithèsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant