Fin de l'épilogue

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Mr Fields n'avait aidée à transporter le corps de mon frère jusqu'au cimetière, où nous le laissâmes dans un coin. Quelqu'un le trouverait sans doute et aurait peut-être peur, mais nous n'avions ni le temps ni l'énergie de creuser une tombe, et il aurait été difficile d'expliquer les circonstances de sa mort. Nous aurions pu trouver un mensonge plausible si nous l'avions tué d'une manière "normale", mais dans le cas présent il avait été terrassé par la douleur irréelle - mais fulgurante - qui lui parcourut les veines pendant les quelques secondes que durèrent son agonie. Ma douleur, pour être plus précise.

Je frissonnai à ce souvenir. Oui, c'était ma douleur, et même si je la lui avait transmise pour lui faire endurer au moins une fois ce qu'il m'avait fait durant des années, elle restait ancrée en moi, tâche indélébile de larmes et de sang qui empoissonnait mes souvenirs.

- Maman, je suis rentrée, annonçai-je doucement en poussant la porte de chez moi

J'entendais ma mère dans la pièce d'à côté, au téléphone. J'hésitai à aller la voir directement pour lui expliquer que son fils était mort. Mort de ma main. Elle ne savait encore rien de mon pouvoir, je lui ai juste expliqué que ça ressemblait à de la télépathie. Elle s'est raidie lorsque je lui ai dit, mais je ne sais toujours pas pourquoi. Elle n'a jamais voulu me l'expliquer. Mais je savais qu'elle avait ses propres mauvaises expériences, et la télépathie avait peut-être un rapport là-dedans. Je ne sais pas, et je n'ai pas envie d'ajouter de nouvelles terreurs à mes nuits. Je n'ai presque plus de place dans mon esprit pour caser tous les monstres que j'habite et qui me rappellent leur présence quand je suis vulnérable, quand je relâche mon attention et que j'espère pouvoir divaguer dans un monde dans lequel je peux faire ce qu'il me chante.

J'entendis un "Oui, merci, au revoir !" et je compris qu'il était temps de me montrer. Mais je ne voulais pas qu'elle remarque à quel point j'avais peur de sa réaction. Elle saurait tout de suite que quelque chose n'allait pas, mais je pourrais inventer... quelque chose. N'importe quoi qui m'empêcherais d'affronter la terrible réalité : je venais de tuer mon frère, je venais de me venger d'une décennie de coups et d'oppression.

- Lilia ? Qu'est-ce qu'il se passe ? me demanda ma mère en rangeant son portable dans la poche de sa veste

Je restai une seconde impassible, pour me précipiter vers elle pour l'enlacer. Ce n'était pas un geste qui m'était naturel. Ça ne l'est toujours pas. Ma mère n'était pas très tactile et je ne l'était pas davantage, donc j'ai rarement reçu des marques d'affection comme celle-ci, mais j'ai besoin du contact, j'ai besoin de sentir ses bras autour de voir, d'entendre les battements de son cœur, réguliers, et son souffle, calme.

- Lilia... dis-moi ce qu'il s'est passé. Ça a à voir avec Adam, n'est-ce pas ? Oui, bien sûr. Pourquoi n'est-il pas rentré avec toi ?

Elle avait parlé d'un ton très calme, posé. Elle ne inquiétais pas le moins du monde pour mon frère. Non, elle s'inquiétait pour moi. Pour moi.

Et j'aimais ça, j'aimais savoir qu'elle tenais à moi, qu'elle me faisait confiance pour lui donner une explication plausible. Et j'en avais une. J'en avais une, une excuse parfaite qui expliquerais tout, pourquoi il n'était pas là, pourquoi je me sentais mal et pourquoi j'avais si peur. C'était parfait. Il me fallait simplement mentir. Encore. Juste... répéter les mots que j'avais préparé avec soin... allez... allez, Lilia, il faut juste que tu dises quelque chose...

- Il... je ne sais pas où il est allé, il est parti et...

J'éclatai en larmes. De vraies. J'avais tué mon frère, bon sang ! Mais pourquoi, pourquoi étais-je si effondrée ? J'avais maintenant l'habitude des meurtres. D'exécuter des gens qui avaient une famille qui s'inquiéterait très vite pour eux, qui les chercherait partout. Des enfants, parfois. Des enfants qui n'avaient aucune chance de s'en sortir, mais qui ne s'en rendaient compte qu'à la dernière seconde, ou même jamais. Mais eux, je ne me sentais jamais coupable d'avoir causé leur mort. Je les tuais dans un état presque second, suivant les ordres de mon frère sadique. Alors pourquoi je me sentais si mal ?! J'aurais du être réjouie, j'aurais du simuler mes larmes et les spasmes qui agitaient mon corps, pas... pas ça !

Les Souvenirs PerdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant