Chapitre 13

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" Réel, imaginaire, labyrinthique, mystérieux, compliqué, cauchemardesque. C'était le monde dans lequel je vivais. Et pourtant, c'était moi qui l'avait créé, ce monde."

Elle avait les cheveux trempés de sang. Au moins, cette fois, c'était le sien. À cette pensée, elle ne put s'empêcher de rire faiblement. Mais il n'y avait rien de drôle, et rire lui faisait mal. Elle se releva lentement, péniblement. Lilith était partie, à moins qu'elle n'ai eu un pouvoir d'invisibilité.

Les évènements qui avaient précédé sa perte de conscience lui revirent en mémoire douloureusement, plus rapidement que ceux qui lui étaient revenus le lendemain de son enlèvement.

Le sang, la peur, la douleur, Lilith, un poignard, encore plus de douleur et plus de sang. En un mot comme en mille, la torture. Talya secoua la tête, rangea ces réminiscences dans le dossier de sa mémoire qu'elle gardait toujours fermé à clé puis voulut sortir - ses chaussures laissaient des empreintes rouges derrière elle - mais, contrairement à la première fois, la porte était verrouillée. Elle eut beau tourner la poignée dans tous les sens, rien ne bougeait. Ce qui voulait dire... 

Enfermée, elle était enfermée.

Seule.

Et Lilith pouvait revenir n'importe quand.

Combien  de temps avait-elle passé inconsciente ? Deux heures, une semaine ? Plus ? Est-ce que les autres s'inquiétaient ? Avaient-ils tentés de s'échapper sans elle ou n'avaient-ils pas osé ? Si oui, avaient-ils réussit ? Se pouvait-il qu'ils soient tous morts ou dans un état critique ?

De l'air, de l'air, de l'air.

Mais il n'y avait aucune issue, pas de fenêtre, rien d'assez solide pour briser la serrure de la porte. À moins que...

Elle sortit sa dague - dont la pointe était tachée de sang - et essaya de forcer la serrure, mais sans expérience dans le domaine elle ne parvint à rien à part se décourager. Elle ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre, attendre que Lilith revienne et l'achève.

Talya prit conscience de la douleur insoutenable qui l'habitait et se laissa glisser contre le mur, respirant difficilement. En face d'elle,  le théâtre de sa douleur. Elle s'entendait encore crier et ses bras la démangeaient furieusement, à cause du sang séché qui prenait la consistance du sable dès qu'elle l'effleurait.

Elle se figea soudain en remarquant qu'elle avait oublié un détail - plus qu'un détail, un changement décisif.

- Le pouvoir... souffla-t-elle

Elle l'avait sentit juste avant de tomber, comme un bourdonnement en arrière-plan, et elle le sentait encore en se concentrant. Mais comment activer la capacité ? Maintenant qu'elle était là, Talya aurait du savoir s'en servir instinctivement, non ? À moins que son pouvoir ne soit d'entendre un bourdonnement étrange qui n'existait que pour elle.

Ne pas savoir l'énervait, la pièce l'oppressait et l'air saturé de sang lui donnait la nausée. Elle se releva brusquement et donna un coup de pied dans le mur, les larmes aux yeux. Pourquoi ? Pourquoi tout ne s'était-il pas réglé ? Normalement, cela aurait du suivre l'ordre de la découverte d'un pouvoir utile, puis la fuite grâce aux nouvelles capacités de tous les adolescents. Enfin, une vie normale, parsemées d'allusions et d'évènements tintés de magie et de surnaturel. Peut-être même l'arrestation de l'ensemble des membres de la Société.

Elle aurait été voir Lilith en prison, et lui aurait sourit gentiment avant de lui prouver que son pouvoir avait été déclenché et de partir, la laissant les bras ballants.

Sauf que non. Non, parce qu'elle était enfermée avec ses pensées et sa douleur.

Subitement, il lui devint impossible de rester ici, dans cette pièce, dans ce bâtiment, dans ce pays même. Elle frappa dans la porte en sachant pertinemment qu'elle ne s'ouvrirait pas... mais elle s'ouvrit, malgré le manque de logique de la chose. Elle n'avait pas suffisamment de force physique pour enfoncer une porte.

Ou alors son pouvoir le lui permettait-il ? Étrange, pourtant. Emira avait remarqué que tout les pouvoirs déjà découverts avaient un lien avec leur propriétaire : Adalia avait peur du noir, elle créait donc de la lumière. Edric, de nature empathique, pouvait ressentir les émotions des autres tandis que sa jumelle les modifiait, déjà douée pour faire changer les gens d'humeur. Augustus était doué de télékinésie - selon ses dires, il avait tendance à perdre toutes sortes de choses. Mais Talya ? Elle n'aimait pas spécialement le sport et était dans la moyenne dans le sujet.

Elle secoua la tête. Ce n'était pas le moment de se poser des questions à propos de la logique !

Seulement, lorsqu'elle voulu sortir, elle heurta une surface dure... et invisible. Elle avança sa main de nouveau, et sentit l'étendue plane et froide sous ses doigts. Sauf qu'elle ne la voyait pas. Elle voulut refermer la porte, troublée et furieuse, mais la poignée se brouilla sous ses yeux avant de reprendre sa forme normale. Ahurie, Talya réitéra l'action une, deux, trois, quatre fois, mais elle ne pouvait pas fermer la porte.

Une seconde plus tard, le battant disparut et le couloir aussi.

- Qu'est-ce que... ?

"Illusions." se répondit-elle. Oui, oui, c'était logique ! En excellente menteuse, elle maniait les illusions. La surface dure invisible n'était pas invisible, seulement recouverte d'une illusion. Et le battant aussi, simple hologramme. Enfin, hologramme, pas exactement... c'était de la magie.

Alors, meurtrie, ensanglantée et traumatisée, elle éclata de rire à s'en faire mal aux côtes. Elle avait un pouvoir, la magie existait vraiment !

- Ravie de voir que la situation te fait rire, fit une voix qu'elle commençait à connaître un peu trop bien

- Vous n'imaginez pas à quel point, répondit-elle cependant sans se départir de son sourire. Merci, au fait. Je n'y serais sans doute pas arrivée sans vous. Pas aussi facilement, en tout cas.

Même elle ne parvenait pas à décider si elle était sincère ou pas. Lilith, hautaine mais amusée, plissa les yeux.

- Qu'est-ce que tu... en quoi est-ce si amusant ?

- En rien. Ce n'est pas "amusant", j'ai simplement un taux anormalement élevé d'endorphine dans les veines, et comme vous le savez sans doute grâce à votre statut de scientifique psychotique, l'endorphine amoindrit le stress et la douleur. Or il n'y a que ça en ce moment, alors...

Elle se retint de rire à nouveau devant l'air hébété de Lilith.

- Je ne... soit.

Elle se tourna vers le mur du fond et sourit, une lueur de folie dans le regard.

- Je sais quel est mon pouvoir, au fait, lança Talya avant de se réprimander. Mais je ne voulais pas vous le dire, et je ne sais pas pourquoi je l'ai fait.

- Tu es certaine que c'est de l'endorphine ? Ce n'est pas plutôt un début de bipolarité ?

- Aussi sûre que du fait suivant : je vais quitter cet endroit. Bientôt. Et vous ne pourrez rien faire pour m'arrêter.

- Tu es trop gentille pour abandonner tes amis.

- Vous vous trompez sur moi.

C'était faux : elle ne partirait pas sans l'intégralité des captifs. Mais quitte à s'évader, autant leur laisser un souvenir. Par exemple, l'illusion qu'elle avait laissé tout le monde et était partie.

- Question. Tu as dit que ta capacité s'était déclenchée. De quoi s'agit-il ? demanda Lilith

Tout se jouait maintenant. Elle devait se faire disparaître, se fondre dans le décor. Elle n'avait qu'une seule chance de les sauver tous. Le bourdonnement s'intensifia et elle espéra que cela signifiait davantage de puissance et non pas qu'elle avait utilisé son quota de pouvoir.

- Du mensonge, répondit-elle alors

Et elle disparut. Elle le vit à l'expression de Lilith, choquée, et le sentit à la sensation étrange de la lumière qui passait à travers elle.

Plus que quelques minutes, et tout serait finit.

Finit pour qui ?

Je ne sais pas. À votre avis ?

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