5. Elijah

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Aujourd'hui, c'est mon jour de repos et, comme une fois par mois, je me rends dans l'orphelinat où j'ai grandi. Il y a quelques années, Malcolm venait avec moi, mais très vite, il ne l'a plus supporté. C'était trop douloureux pour lui d'y remettre les pieds. Pour moi, non. Cet endroit m'a vu grandir et mes plus anciens souvenirs sont ceux que je me suis faits ici. Et en plus, au lieu de n'avoir qu'un ou deux frères et sœurs, j'en ai eu des dizaines.

Je regarde tomber la pluie contre la vitre du bus. L'orphelinat est à l'autre bout de la ville. Y aller à pied est inconcevable, et de toute façon, je dois être l'une des personnes les moins sportives de Seattle.

Au bout d'une petite heure de trajet, j'arrive enfin dans mon ancien quartier. Celui où j'ai appris à faire du vélo, où j'ai eu mes premiers bobos dus à mes cascades d'aventurière ou d'amoureuse. Car oui, là aussi il y a eu quelques blessures. Rien de bien méchant, juste de quoi grandir.

Je presse le pas et arrive enfin devant l'orphelinat St Matthew. Ma tête se relève pour observer mon ancien foyer et j'éprouve un amour incommensurable pour cette bâtisse du siècle dernier. Enfin je pense que c'est son âge, je n'y connais rien en architecture. Je me la joue juste.

Je sonne au portail et attends que Jerry vienne m'ouvrir. Il est le gardien depuis aussi loin que je m'en souvienne et, vu la conjoncture actuelle, je pense qu'il sera encore là dans dix ans. C'est un homme d'origine chinoise. Il paraît que son nom est bien différent, mais imprononçable pour nous autres, américains. Il s'entête à garder son véritable prénom secret. Mais après tout, ce n'est qu'un nom. Il ne définit pas qui il est. Et pour moi, il restera toujours le gentil Jerry qui me donnait une friandise quand j'avais un chagrin.

Le bourdonnement m'indiquant l'ouverture se fait rapidement entendre. Je pousse le portail à l'aide de mon épaule, les bras chargés de boîtes à gâteaux. Si Malcolm ne m'accompagne plus, il n'oublie jamais de les préparer.

Je traverse le petit jardin et monte les marches. Jerry est déjà là, me maintenant la porte.

— Les enfants se demandaient si tu ne les avais pas oubliés, se plaint-il.

— Comme si c'était déjà arrivé, me moqué-je.

— Non, c'est vrai. Même malade, tu trouves le moyen de venir jusqu'à eux. T'es une bonne petite, me dit-il d'un ton égal. Une sucrerie ?

Jerry est comme ça. Il n'est pas insensible mais décrypter ses émotions est presque impossible. Petite, j'avais peur de lui, mais à présent, j'éprouve une profonde affection à son égard. Il n'y a pas de faux semblants avec lui ni d'hypocrisie. S'il te dit qu'il t'apprécie, peu importe le ton de sa voix ou l'absence de sourire chaleureux, c'est que c'est le cas.

Il me guide jusqu'à son bureau et me tend en douce un caramel, en me gratifiant d'un clin d'œil.

— Si Madame le sait...

— C'est notre secret.

Dix ans plus tard, toujours la même phrase. Rien n'a changé ici, peut-être est-ce pour ça que je m'y sens si bien quand je reviens ? Je redoute le jour où il ne restera de mon enfance que cette bâtisse.

— Et voilà un cupcake citron vert, pavot et sa chantilly framboise.

Il me regarde suspicieux, comme toujours, mais je dépose simplement le gâteau avant de sortir de son bureau.

À l'heure qu'il est, les plus jeunes doivent se défouler dehors, près du grand chêne, mon ancien bureau des pleurs. Pendant ce temps, les plus grands font sans doute leurs devoirs. Je traverse le grand hall menant au jardin arrière. Les portemanteaux, en nombre, accueillent les blousons et sacs des plus petits. Contrairement aux niveaux supérieurs, la petite école se fait sur place.

Dernier souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant