30. Fuyons

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— Elijah ?

Debout devant la fenêtre, il ne se retourne pas lorsque je lui parle, il ne me répond pas non plus mais, à la façon dont ses épaules se sont raidies, je sais qu'il m'a entendue. Mon pied nu rencontre le parquet lorsque je quitte le lit. Le froid pénètre mes os et j'ai le sentiment de manquer d'air. Je m'avance vers lui, le souffle court. L'atmosphère de la pièce est pesante, mais je n'arrive pas à en déterminer la cause. Pourtant, quand on s'est couchés, tout allait bien, non ? M'en veut-il encore pour ce que je m'apprêtais à faire ?

Mes bras se lèvent pour l'étreindre de dos, mais il disparaît sous mes yeux. Je bute contre la fenêtre et me retourne. Mon regard balaye la pièce, à sa recherche. Me fait-il une blague ? Un mouvement à la fenêtre attire mon regard et je me précipite pour l'ouvrir. Dos à moi, il plane, faisant seulement du sur place.

Lorsqu'il se retourne, nos regards se rencontrent enfin. Le sien est déterminé, résolu. Je le supplie du mien de me dire ce qu'il se passe, mais plutôt que de me rassurer, il s'élève plus haut dans le ciel. Je cours, pour m'extraire de mon appartement et longe le couloir. Je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie, mais j'ai le sentiment que si je n'accélère pas, il disparaîtra. Je me retiens aux murs pour ne pas chuter, puis monte quatre à quatre les marches. La porte métallique s'abat contre le mur et le bruit sourd que cela provoque résonne dans la nuit silencieuse. Une bourrasque fait voler mes cheveux dans tous les sens, et le froid pénètre à travers mon pyjama.

Des draps blancs sont étendus sur le toit et m'empêchent de le voir. Je les repousse de la main pour l'atteindre, pour qu'il sache que je suis là. Mais la vision qui se présente à moi lorsque j'en arrive enfin à bout me glace d'effroi. Elijah à genou sur le toit d'en face est retenu par deux autres anges. Je m'apprête à hurler son nom mais, lorsqu'il me repère, son regard suffit à me faire taire.

Un mouvement attire mon attention sur la droite et je perds le souffle face à l'envergure des ailes du nouvel arrivant. Il se pose avec souplesse devant Elijah. De là où je suis, je ne peux ni voir ni entendre. Une larme perle le long de ma joue lorsque je réalise qu'il va mourir sous mes yeux. Dans un silence oppressant, l'ange aux ailes majestueuses fait signe à ceux qui retiennent Elijah. Ils attrapent ses ailes et Elijah pousse un hurlement de douleur qui me déchire les tripes et me fait crier à mon tour. J'ai aussi mal que lui parce qu'en lui arrachant ses ailes, j'ai l'impression que c'est mon cœur qu'on mutile. Ils ne me prêtent même pas attention, pourtant je suis sûre qu'ils m'ont entendu.

— Elijah ! hurlé-je en me précipitant vers le rebord.

— Ne t'en fais pas pour moi, Charleen, ça va aller, me dit-il la voix tremblante.

Mais il ment, je le sais. Ses ailes déchirées sont en lambeaux à ses côtés et sa chemise blanche est maculée de sang. Je déglutis parce que je suis incapable de l'aider, de le sauver.

— Je vais appeler Dean !

Oui, Dean, il pourra sûrement nous aider. Les trois autres anges ne se soucient même pas de notre échange, comme s'ils doutaient de nos capacités.

— C'est trop tard, Charleen.

Je relève le regard parce que cette fois, sa voix a juste murmuré. Il n'a pas eu besoin de crier pour que je l'entende.

— Je peux te sauver.

Il secoue la tête, puis la baisse et moi, je ne peux plus retenir les sanglots d'impuissance. L'un des hommes, sans remords, lui assène un coup de pied dans le dos. Le choc le fait chuter en avant et, dans une grimace, il tente de se redresser, mais un autre coup le met à terre.

­— Lâchez-le ! Je vous en supplie ! les prié-je, hystérique.

Je vous en supplie.

Le troisième ange, celui qui semble être leur supérieur lève la main et, comme un signal, les deux autres s'arrêtent. Il se tourne enfin, mais je ne peux pas voir son visage. Je vous en supplie, articulé-je, sans qu'aucun son ne s'échappe de ma bouche.

Dernier souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant