Je suis née un matin d'octobre dans l'hôpital anglais de Levallois-Perret. C'est bien la seule chose que j'ai vue de la banlieue parisienne, d'ailleurs. Personne n'attend vraiment ma venue. Pas même ma mère, à vrai dire.
Cornélia Fleuret. C'est son nom.
Elle et moi avons pratiquement eu la même enfance à quelques années d'écarts. Je grandis dans la même petite rue commerçante. Je suis élevée par la même personne qu'elle. Je dors dans sa chambre, avec ses mêmes murs blanc cassés et je partage les mêmes bancs de l'école.
Pourtant, il n'existe pas deux personnes plus opposées sur terre que Cornélia et moi.
Je ne la connais pratiquement pas et je ne peux pas dire que je le regrette. Comme quoi, les mêmes causes ne produisent pas forcément les mêmes effets. Je suppose que je dois m'en estimer heureuse.
Cornélia n'a jamais aimé sa vie ici là où moi, je l'adore. Elle, elle a toujours aspiré à plus grand, plus beau. Plus prestigieux, sans doute. La petite librairie de quartier que tient son père ne lui suffit pas. Ça ne lui a jamais suffi.
Elle le juge en permanence. Pour elle, Gaspard n'est qu'un vieil homme qui ne convoite rien d'autre que son desk et ses bouquins dans sa petite boutique. Cornélia veut la lumière. Cornélia veut des paillettes. Il n'y a rien pour elle, ici. C'est là où je me différencie d'elle. Pour moi, Papy est le meilleur humain que la terre a porté.
Alors, quand elle a eu quinze ans, Cornélia est partie.
C'était un mardi. Comme chaque matin, Gaspard se lève aux aurores pour aller chercher le journal au coin de la rue. Ensuite, comme tous les jours, il s'installe sur la table de la cuisine à sa place habituelle, celle face à la porte de la chambre de sa fille. Il a devant lui une tasse de chicorée fumante et les yeux sur un article récapitulant les manifestations à venir.
Son emploi du temps est réglé au millimètre près, comme du papier à musique tandis que son apparence est toujours tirée à quatre épingles, même à six heures du matin. Il est comme ça, Papy : toujours propre sur lui, toujours au carré.
Cornélia est sortie apprêtée de sa chambre à l'heure où, d'habitude, elle se réveille mais ce n'est pas ça qui interpelle le vieil homme. Ce n'est pas non plus l'énorme sac de sport qu'elle porte sur son épaule. Non, c'est l'expression qu'elle arbore sur son visage.
Gaspard semble avoir pris dix ans d'un seul coup. Même si elle n'a pas encore ouvert la bouche, quelque part, il sait déjà. Il redoute ce moment depuis toujours tout en sachant qu'il finirait irrémédiablement par arriver.
Lentement, Papy relève la tête en enlevant ses lunettes en demi-lune. Il les laisse pendre à son cou tandis que, d'une main tremblante, il pose son journal sur la table en attendant la bombe.
Cornélia sait faire monter la tension. Elle se délecte déjà de son petit effet théâtral en jubilant intérieurement. La jeune fille garde le silence pendant plusieurs secondes devant son père qui se brise un peu plus à chaque seconde. Elle, elle se régale comme si elle avait attendu ce moment toute ma vie.
« Je m'en vais, Gaspard. »
Elle a choisi chacun de ses mots avec soin en empruntant volontairement une voix froide et détachée. Bien qu'elle s'adresse à son père, elle a fait le choix de l'appeler par son prénom comme pour briser le lien de sang qui les unit. L'adolescente veut que son père sente à quel point elle le méprise. Elle le renie officiellement, comme ça.
Cornélia était une adolescente difficile. Elle cherchait toujours à repousser les limites que son père tentait de lui imposer : se teindre les cheveux en blond platine, se faire un piercing au-dessus de la lèvre, fumer de la drogue ou des cigarettes sans même prendre la peine de se cacher...
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Citron & Chicorée
RomanceJ'avais douze ans lorsque j'ai su que j'étais amoureuse d'Oliver. En réalité, je crois que cela remonte à bien plus longtemps que cela mais il y a des choses que l'enfance nous empêche de ressentir pleinement. Lui et moi avons partagé un coin de rue...