Citron & Chicorée

2017 - 21 ans

Thérapie.

Je déteste ce mot. Pourtant, je crois que c'est ce que je fais.

Depuis que je suis revenue à Paris, j'ai l'impression que tout a changé. J'ai dû arrêter définitivement le conservatoire. Ça a été la chose la plus dure que j'ai dû faire dans ma vie : être obligée de dire adieu à mon rêve en raccrochant les chaussons.

J'ai l'impression de ne plus être moi.

J'ai tellement dansé dans ma vie. J'étais enfin une ballerine, ça représentait tout ce que j'avais toujours voulu, tout ce que j'avais toujours espéré. Pendant des années, je n'ai respiré qu'avec un tutu sur le corps.

Et, en un rien de temps, tout a disparu.

Le pire dans tout ça, c'est que j'avais du talent. Beaucoup de talent. Le deuil serait sans doute plus simple si je n'en avais pas eu.

J'essaie de ne plus y penser. En fait, je m'y refuse tout simplement. Cependant, cette fois, la fuite ne m'a pas aidé à refouler alors j'ai commencé à faire quelque chose que je n'avais jamais fait auparavant : je sors et je bois. Chaque soir.

Mon poison, c'est la tequila. Cette brûlure dans la gorge, ce léger nuage qui me fait presque perdre le contrôle dès le premier verre... En à peine quelques soirées parisiennes, j'étais accro.

J'étais sans doute sur une pente glissante mais je ne le savais pas encore, à ce moment-là. C'est quand j'ai croisé Emma que ça m'a fait un choc.

Emma. Ma copine de ballet.

J'étais sur la piste de danse en train de me déchaîner et j'avais bu bien trop de shooter pour les compter ce qui, en soit, signifie que c'était sûrement trop.

Emma se trouvait là avec plusieurs autres ballerines. Je les ai presque toutes reconnues et ça m'a fait mal. J'ai essayé de m'esquiver à la seconde où je les ai vus mais, malheureusement pour moi, elle est venue directement vers moi dès qu'elle m'a aperçu.

« Lucie ?

Ne rien montrer.

- Oh, mon petit rat ! Comment ça va ?

- Attends, mais tu es bourrée ?!

- Tout juste.

Elle semblait embêtée, presque gênée pour moi.

- Lucie, j'ai appris ce qu'il t'était arrivé, je voulais te dire quoi...

- Quoi ? J'entends pas à cause de la musique. Désolé ! »

Fuir pour ne pas parler.

J'avais pensé que ça s'arrêterait là, que je ne serais plus confronté à mon passé. Pourtant, Emma est têtue, peut-être même plus têtue que moi. J'aurais dû m'en douter, l'obstination est l'une des principales qualités des ballerines.

Elle est revenue soit après soir, seule. Au début, elle se contentait de m'observer du bar avec un air préoccupé sur le visage. Moi, je faisais mine de l'ignorer en dansant, en buvant. En me lâchant. Ce petit manège a duré des jours.

Et, un soir, elle est passée à l'attaque.

Je l'ai vu arriver à la seconde où elle s'est levé de son siège, l'air déterminée. Elle s'est avancée vers moi et j'ai tenté de m'éclipser mais c'était bien mal la connaître.

« Lucie, tu ne vas pas bien, constate-t-elle.

- De quoi tu parles ? Je m'éclate !

- Mais regarde toi ! Ça ne va pas du tout !