2012 - 16 ans

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L'adolescence. Quelle terrible période.

Je ne me suis pas rebellée au sens propre du terme. Mes rapports avec Gaspard sont plutôt bons, d'ailleurs. Je sais qu'il appréhendait ma crise d'adolescence et c'est sans doute parce que celle de ma mère était terrible et a été dévastatrice pour l'un comme pour l'autre. Heureusement, à ce niveau-là, tout va bien.

Nous avons toujours nos rendez-vous du samedi et je les attends tous avec impatience. J'ai beau avoir seize ans, ce marbré au citron provoque toujours une joie incommensurable en moi.

Non, mon problème, ce sont mes émotions. J'ai en permanence l'impression que tout est décuplé. La souffrance, surtout.

Oliver et Louise sont toujours ensemble. Cette année, ils fêtent leurs trois ans de relation. Je pensais que je finirais par m'habituer à leur regard langoureux et à toutes les autres effusions d'amour mais non. La douleur de les voir ensemble était toujours là, bien présente.

Cependant, ça n'est pas mon seul souci. L'adolescence, c'est également le moment où mon décalage avec les autres s'est exacerbé.

Je traîne avec Louise qui traîne avec Oliver qui traîne avec un tas de monde avec qui je ne m'entends pas. Je suis comme une pièce de puzzle qui s'imbrique mal dans un ensemble : pas du tout à ma place.

Gabriel est un des pires, ça n'a pas changé. Il a toujours été exécrable avec moi sans réellement que je ne comprenne le point de départ de cette haine. Il me déteste, point final. Je sens que c'est pareil pour tous les autres mais ils ne l'expriment pas aussi clairement que Gabriel. Tout le monde me tolère parce que je suis l'amie de Louise mais rien ne les oblige à m'apprécier.

Parfois, j'essaie de m'intégrer. Je veux dire par là que j'essaie vraiment. Avec l'impression de marcher sur des œufs, je tente de m'insérer dans leur conversation, de participer à leur activité mais il y a toujours un moment où je dis la parole de trop, celle qui braque tout le monde en un clin d'œil. Alors je me renferme. La plupart du temps, c'est bien plus simple.

Quelque part, cette situation me va. Je partage mon temps entre la lecture et la danse même si, à la fin, je me sens très seule.

Une part de moi cherche à tout prix à s'intégrer. Une autre tente constamment à s'isoler. Au final, je suis quelque part entre les deux.

Je me réfugie dans la danse classique. La passion est toujours là, peut-être même encore plus qu'avant si c'est possible. Madame Aurore dit que j'ai du talent, peut-être même un avenir en tant que ballerine. Cette idée m'aide à avancer. En fait, je ne vois pas ce que je pourrais faire d'autre : je n'aime que ça.

Oliver, lui, continue son entraînement de pompier. Lui aussi, il semble avoir trouvé sa vocation. D'ailleurs, ça se voit sur son corps : tout a changé chez lui. Il n'est plus le gamin rouquin et gringalet qu'il a été. Il semble déjà bien plus fort, plus musclé que n'importe quel autre adolescent de notre âge. Sa voix est devenue bien plus grave et ses cheveux se sont assombris. L'orange criard a laissé place à un roux auburn foncé. Il faut reconnaître que ça lui va plutôt bien.

Il devient un homme.

J'ai beau lutter de toute mon âme, force est de constater que je suis toujours amoureuse de lui. Quand il part courir le matin, je suis toujours à ma fenêtre pour l'observer avec un pincement au cœur. Cependant, quelque chose a changé entre nous depuis cette nuit il y a trois ans.

Quand Gaspard le réfugie chez nous, nous ne discutons plus comme avant. En fait, nous ne partageons plus grand-chose. Il se contente de s'allonger au pied de mon lit, sur son matelas, et nous dormons.

Citron & ChicoréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant