Scène cachée

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Point de vue : Anonyme

La pluie frappait contre les vitres, l'orage tombait sur ma ville de cœur. Quelle journée, quelle triste journée...

Alors que ma chère et tendre amie jouait un air magnifique au piano face à moi, Nourrine, ma servante apporta un peu plus de vin à table. Elle ne m'accorda pas un regard, pas un sourire, la mine grave, elle retourna à petit pas dans la cuisine. C'est alors qu'elle finit sa mélodie et se tourna vers moi, le regard caché par un voile de tristesse. Je me levai vers elle et lui pris les mains.

- Voyons ma chère, je vous en prie, ne vous laissez donc pas envahir par la tristesse. Prenez donc un peu de vin, lui dis-je raisonnablement.

Elle ne répondit pas tout de suite. Je vis son regard m'échapper, elle était d'humeur absente. Alors qu'elle s'éloigna de moi sans un mot, je l'ai suivi calmement dans les couloirs de notre domaine. Un pas avant moi, elle se faufila à travers les pièces. Je voyais bien que quelque chose la tourmentait, mais devais-je pouvoir communiquer pour comprendre son malheur.

Elle s'assied finalement sur le divan de son petit salon où elle avait, autrefois, l'habitude de recevoir des amies.

- Mon tendre, fit-elle de sa voix suave, je me meurs...

- Voyons, mais ne dites pas des choses pareilles.

- Je ne dis que la vérité, je me meurs. Mes mains sont frêles, le médecin m'a dit que j'ai perdu beaucoup de poids.

La voyant tant affaiblie depuis quelques jours, et priant pour trouver une solution, je m'agenouillais à ses pieds et pris à nouveau ses mains.

- Ma Chère Amie, dites moi, de quoi avez-vous besoin pour aller mieux, je vous le trouverai.

- Peu importe ce que cela serait ? Demanda-t-elle.

Je plongeai mon regard dans le sien et lui dit d'une voix assurée.

- Tout ce que vous voudrez, ma bien-aimée.

Elle baissa le regard et caressa ma joue de ses douces mains.

- Ce ne sera pas suffisant, me dit-elle.

- Ce que vous voulez, je vous le donnerai. Je vous en prie dites moi, insistai-je, affolé.

Elle laissa échapper une lourde larme qui ne manqua pas de me terrifier d'autant plus.

Elle se leva calmement et se dirigea près de la fenêtre où coulaient de grosses gouttes. Le ciel avait pris une curieuse teinte rougeâtre, la pluie sur les fenêtres était similaire à du sang, l'ambiance générale changeait petit à petit sans que je ne puisse rien faire. Alors qu'elle était dos à moi, elle me posa une question qui aurait dû me faire fuir, mais il était déjà trop tard :

- Serais-tu capable d'offrir ton âme ?

Je fronçai les sourcils.

- Que voulez-vous dire mon amie ?

- Répondez. Fit-elle froidement.

- Si votre vie ou celle de notre fils était en jeu bien sûr que je le ferai. Pourquoi cela ? Cessez votre petit jeu, laissez-moi savoir de quoi il s'agit !

Elle se tourna vers moi, sa peau avait pâli. Ses yeux avaient pris les teintes rougeâtres du ciel, ses larmes coulaient telle la pluie et ses mains si frêles tremblaient...

J'accourus vers elle quand je la sentis s'évanouir. Elle s'écroula dans mes bras, toujours consciente.

- Nourrine ! Appelez un médecin ! Criai-je.

La servante ne répondit pas. Je l'appelai plusieurs fois en regardant droit la porte, mais c'était trop tard. Je n'eus pas le temps d'appeler encore une fois ma servante que le visage de ma bien-aimée avait changé. Elle n'étais plus la femme que j'avais aimée, elle était devenue une bête féroce aux yeux de chat remplis de larmes. Puis deux belles canines pointues acérées auxquelles goûtèrent les larmes de ses joues se plantèrent dans ma jugulaire. Sa mâchoire se planta plus profondément. Je ne sais pas combien de temps dura ce moment, mais je perdis toutes mes sensations.

Je sentis mon cœur battre très fort, de plus en plus fort, je sentis ma bien-aimée s'échapper de mes bras. Ma vision se floua, les lumières devenaient insupportables, j'aperçus les couleurs de la robe de Nourrine se mêler à celle de mon épouse. Mon audition se troubla elle aussi, je perdis l'équilibre et sentis le sol frapper mon épaule. Le sang tourna dans tous mes membres, j'étais comme piqué par la plus venimeuse des araignées.

À mon réveil, le manoir était vide. Je me sentais mieux. La pluie continua à frapper, mais le ciel avait repris sa couleur habituelle. Je l'appelai. Elle. Puis Nourrine. Mais aucune des deux ne vint.

Je courus dans chaque pièce, chaque recoin du manoir en criant désespérément son nom...

...Mais rien...



...Ma bien-aimée avait disparu...

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