La compagnie arrivait à l'orée occidentale des Vallées, et au-delà de la dernière colline couraient à nouveau les immenses forêts immobiles, qui étaient comme endormies. La pénombre les voilait lentement et tout ne fût plus que calme et silence. Melathil s'élevait plus haut que les nuages bas et se perdait derrière eux, muraille lointaine et ténébreuse.
Varyan s'était péniblement remis de son expérience hallucinée au contact de la bave de pogwaû. Sa démence avait engendré des regards inquiets à son égard. Il était resté près de deux jours endormi, par la suite, mais quand il fût enfin réveillé, il se sentait bien, et n'avait aucune séquelle apparente.
Fariell lui avait plusieurs fois raconté ce qu'il s'était passé, mais il demeurait en lui la bizarre impression que certaines choses lui étaient volontairement cachées. Il s'employa de toutes ses forces à oublier cette rencontre énigmatique et à se concentrer sur la mission qu'il avait désormais pleinement embrassée.
Ils étaient à présent dirigés vers l'ouest et les contreforts montagneux s'étiraient à leur gauche, plongeant recourbés vers le sud pour créer un enclavement gigantesque. Celui-ci abritait le Sombreval, et plus loin encore vers l'ouest, le légendaire Sepher, qui reposait dans l'ombre des plus hauts sommets de Melathil.
Un nouveau matin vînt à eux. L'aurore était grise et brumeuse et de minces volutes d'humidité planaient sur les forêts. La bruine enveloppait les Vallées derrière la troupe et les rattrapa avant qu'ils ne purent se remettre en route et descendre le long de la crête.
L'autre côté d'Udanlìr était radicalement différent de la longue forêt qu'ils avaient traversée en arrivant de l'est. De nombreux ruisseaux et rivières dévalaient les pentes de la chaîne montagneuse et irriguaient ainsi mieux la flore qui était ici bien plus dense et diversifiée. L'atmosphère y était plus humide, moins pénétrée des embruns de l'océan, tout au sud ; les animaux y étaient plus courants, car il y avait abondance de nourriture et de sources.
Varyan remarqua qu'ils voyageaient tous vers le nord-ouest, ce qui l'intrigua. Il en parla avec Fariell, qui en déduisit que c'était peut-être là un indice de l'itinéraire vers le Refuge Vert. Ils décidèrent de les suivre, en espérant que cela les mènerait au seuil des Portes Tressées.
Bientôt, il leur fût impossible de suivre la piste. Le chemin était trop vallonné, impraticable ; les oiseaux disparurent au-delà des cimes, les biches empruntèrent des routes escarpées. Les animaux plus petits étaient partis.
Ils contournèrent de grands gouffres qui s'ouvraient béants dans la terre et dont le fond n'était pas visible. De longues lianes filandreuses dégoulinaient le long des sombres ouvertures et le bruit d'une eau courante résonnait depuis leurs entrailles.
Ils tournèrent, bifurquèrent et finalement s'égarèrent entre les hauts arbres, car cela faisait maintenant longtemps qu'ils erraient en Ilhodir : la fatigue et la désorientation les accablaient.
Ils firent plusieurs fois demi-tour, et revinrent ainsi à leur point de départ, cherchant une autre issue pour continuer vers le nord. La situation leur paraissait sans issue. Ils songèrent un temps à revenir loin sur leur pas pour contourner les gigantesques failles par l'ouest. Cela leur rajouterait de nombreux jours de marche, sans pour autant être sûrs qu'ils seraient sensiblement avancés.
« Nous n'avons qu'un choix ténu semble-t-il, entama Démir. Poursuivre la recherche du Refuge Vert, ou s'engager dès à présent dans la voie du Sepher pour sortir le plus vite possible de ces forêts infinies.
Ces trous sombres et inquiétants ne sont pas là par hasard, Fariell : comme tu l'as dit, il y a peu de chances que nous soyons les bienvenus au-delà des Portes Tressées.
- Il doit bien pourtant y avoir un moyen ! réagit vivement Varyan. Les animaux, eux, ont pu traverser les failles. Il nous suffit d'y réfléchir posément. Elles s'étendent trop loin de part et d'autre pour que nous puissions les contourner, et les rares points de passage sont impraticables. Ne serait-il pas possible de créer un pont ici même, alors que le trou devant nous n'est pas plus large que cinq ou six hommes ?
- Il nous faudrait pour cela abattre un arbre assez haut et épais pour nous supporter, et le dresser en travers du fossé, mais je suis certain que même à cinq, nous ne sommes pas assez forts pour le déplacer et le pousser de l'autre côté. La tentative nous épuiserait davantage, et créerait un remous trop important dans la forêt. Nous sommes certainement déjà bien repérés par tout ce qui vit ici. Inutile de projeter sur nous plus d'attention.
- Démir a raison, souligna Fariell. Il serait imprudent de prélever un arbre au beau milieu des Forêts Hostiles. Ce serait, pour le moins, très mal perçu alors que nous sommes si proches du Refuge Vert. Je peux presque sentir sa présence furtive.
Il y a peut-être une solution, mais elle sera périlleuse, et moi-même je crains à m'y risquer.
- Dis-nous en plus l'amie, ajouta Belèn. Ce sera sans doute moins dangereux que tout ce que nous avons enduré jusqu'à présent ! ».
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Le Voyage de Varyan
AdventureLe marché de Grandplace est agité de rumeurs inquiétantes. Des Amaïkh rôderaient dans les landes des Efferen. L'Ordonnatrice Merlyn y aurait disparu. Le royaume voisin s'enfoncerait dans la folie de son roi, Alcimore, progressant un peu plus vers un...