Chapitre 19 - Galisse

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L'heure était venue. La nuit recouvrait Doucerive et ses rues étaient bruyantes d'ivrognes et de bagarres. L'alcool coulait à flot dans les quartiers nord, et cette clameur se diffusait jusque dans les résidences tranquilles du sud. Endriell sorti discrètement du Faucon Chancelant, puis se dirigea d'un pas décidé vers le lieu qui lui avait été indiqué.

Les Bassins Ouest étaient une place protégée non loin des remparts occidentaux ; un endroit où autrefois l'eau abondait et les jardins aquatiques prospéraient, lorsque la Douce Rivière, un affluent de la Frontière, dont la ville avait hérité son nom dans la langue commune, existait encore.

La mémoire des Négociants avait oublié quand elle avait cessé de couler jusque dans la cité et s'était asséchée complètement. L'eau provenait, depuis, de sources cachées dans les montagnes et des pluies, colossales en hiver, de Tomarang, mais les Bassins furent conservés, triste souvenir d'un passé glorieux, abandonnés en l'état.

C'était un lieu de choix pour les rencontres discrètes car il était peu fréquenté, et surtout de jour, par les marchands dont les affaires pouvaient éveiller des soupçons. Même avec le Secret des Commerces, il y avait toujours des intérêts qui pouvaient s'opposer entre les puissants de la cité et leurs rivaux des royaumes voisins. La prudence imposait une discrétion complète, d'autant plus que la Dame Brune ne savait pas de quoi Galisse souhaitait s'entretenir.

Elle s'approcha de l'entrée des Bassins, dont l'accès était gardé par une grande arche taillée mais non poursuivie par des murs d'enceinte ; ils étaient de toute part ouverts sur l'extérieur, mais protégés par d'autres arches qui se déployait au-dessus. La lumière de la lune tombait par blocs compacts sur la pierre éternellement humide. Le son d'un mince filet d'eau coulait à quelques pas.

Nul ne viendrait déranger leur entretien, car les marchands profitaient d'un peu de répit pour s'amuser dans les innombrables tavernes de la ville. Elle espérait que les informations qu'elle obtiendrait en valait la peine, car il ne lui fût pas aisé de rejoindre la cité. Des broutilles et des ragots la mettraient de très mauvaise humeur.

Cependant, elle se doutait que la Maîtresse des Équilibres ne se serait pas donné tout ce mal pour la rencontrer si ce n'était que pour lui parler de la pluie et du beau temps. Au fond d'elle, la Dame Brune savait qu'un sujet d'une importance capitale l'avait conduite jusqu'ici. Il lui tardait grandement d'en découvrir la nature, dont elle devinait pourtant déjà les contours.

Elle attendit patiemment que se montre la myrine, qui avait un peu de retard sur l'horaire exact du rendez-vous. Cela n'inquiéta pas Endriell. Elle savait pertinemment qu'elle viendrait. Même si elle avait eût un empêchement, quelqu'un d'autre viendrait à sa place. Ainsi en allait-il pour les membres de cet ordre ancien : sans nom, sans visage, sans histoire. Galisse pouvait être n'importe qui, sous n'importe quelle forme.

Par le passé, la Dame Brune avait déjà eût plusieurs fois à faire avec eux, et tout ne s'est pas toujours déroulé dans les meilleures conditions. Elle savait à quoi s'en tenir, et quoi espérer. Elle prenait leur parole très au sérieux, bien qu'elle avait tendance à les mépriser et à les trouver ignorants, opportunistes, manipulateurs. Néanmoins, ils demeuraient une source importante de nouvelles pour elle qui allait si rarement au sud du monde ; ou du moins, qui n'y allait plus depuis bien longtemps.

Des bruits de pas lents se firent entendre sous l'arche d'entrée. Endriell était pour le moment dissimulée dans l'ombre d'une large colonne supportant quatre arches aux orientations cardinales. Une vieille femme avança, petite et vêtue d'une tunique blanche et ample. Sans que la Dame Brune ne bougea, la femme la repéra, ses yeux brillants comme ceux des hiboux, et se dirigea vers elle.

« La ponctualité n'a jamais été votre fort, commença Endriell, jouant l'agacée. L'Équilibre n'enseigne-t-il pas pourtant que trop est trop, et que pas assez n'est pas assez ?
- Pour une vieille personne comme moi, le temps et sa mesure n'ont plus grande importance. Qu'en est-il alors pour la Dame Brune ? ».

Le Voyage de VaryanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant