Pages noires

Poème 23 : Decrescendo

Mais dans les coulisses, on ne se parlait,
Tu pensais que du classique je jouais,
J'imaginais que du jazz tu chantais.
Et quand ensemble on nous a appelé,
Sur cette scène, avec nos noms associés,
Pendant quelques secondes on s'est toisé.
Avant de très rapidement s'admirer.
Et l'on ne sait même pas concertées,
Pourtant les mêmes notes ont raisonnées,
Le même morceau a été entamé.
Et dans ce rock n roll déchaîné,
"Est ce que ceci est la réalité ?".
Sous mes doigts les triolets s'enchaînaient,
Sous mes mains, les doubles croches virevoltaient,
Et quand ta voix, soprano devenait,
A la joie tu ne pouvais résister.
Dans cette musique on s'accompagnait
Pourtant nos notes ne se superposaient
Il y avait nos solos qu'on enchaînait,
Et les touches qui sous mes doigts s'affaissaient,
En essayant de, ta voix rattraper.
On se fuyait, puis on se rencontrait,
On s'élancer et on se rattachait,
On s'abandonnait, puis on s'étreignait
Le tout dans une musique exaltée.
Et puis le tempo a diminué,
Et doucement le rythme a changé,
Et on s'est regardée désespérée,
Que le temps se soit si vite écoulé.
Il y aura un rappel, tu me disais,
Mais on n'a jamais été demandé,
Et pourquoi ? Au fond de nous, on le savait,
Deux femmes sur scène, ce n'est pas apprécier,
Oui certes on aurait pu se retrouver,
Ailleurs, toutes les deux pour ensemble jouer,
Se le demander on n'a pas osé,
Oui, on avait peur de ce qu'ils diraient.
Et on s'est admirées, tant effondrées,
Quand la scène sous nos pieds s'est dérobée.
Partitions de l'autre sur nos cœurs serrés,
On est parties, déjà on se manquait.
Les aigus ont couiné et dérayé,
Les graves ont grogné, se sont écroulés
Les octaves ont tapé puis ont blessé,
Les tonalités se sont emmêlés.
Car on nous deux quelque chose s'est brisée,
Lorsque la dernière note retentissait.

On a laissé notre amour en suspend,
Sur cette dernière note de quatre temps.
Et notre amour s'est éteint bien trop tôt,
Dans ce si abrégé decrescendo.