Chapitre 2 - 1

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– Bien dormi, les filles ?

Tyler, déjà attablé à l'îlot central en bois de la grande cuisine, avait trouvé de quoi faire une pleine cafetière d'un café sombre et odorant. Des tranches de pain rassis avaient été passées au micro-ondes et embaumaient tout le rez-de-chaussée. De quoi réveiller Mathilde et Jeanne qui émergeaient lentement d'une nuit assez peu confortable. La première s'étira, les paumes plaquées sur les hanches tandis que la suivante nettoyait fébrilement ses lunettes comme si ce n'était pas la fatigue de ces derniers jours qui troublait sa vue.

– Une fois un bon bol avalé, je crois que ça ira mieux encore, répondit Mathilde. T'en veux un, Jeanne ?

– Un double.

– Vous avez une petite tête, se moqua Tyler en croquant dans une tartine. Vous auriez dû prendre une chambre. Vous vous entêterez peut-être un peu moins ce soir...

– Parce qu'on reste ici ? glapit Jeanne en cessant de frotter ses carreaux.

Tyler eut un haussement d'épaules impuissant en désignant la fenêtre. Un brouillard épais s'était abattu sur la forêt, masquant même les premiers arbres aux étudiants. C'était à peine si les filles distinguaient le second bâtiment. Jeanne croisa les bras autour de son buste.

– Hors de question que je repasse une nuit ici, déclara-t-elle.

– Prends d'abord ton café.

Mathilde venait de lui glisser un bol fumant devant elle, ce qui apaisa un instant les craintes de la jeune femme.

– Où est Tristan ? reprit-elle.

– Il dort encore, je crois que je l'ai épuisé...

L'étincelle lubrique qui brilla un instant dans le regard de Tyler ne laissait planer aucun doute sur leurs activités nocturnes. Jeanne soupira avant de tremper ses lèvres dans le café brûlant. C'était peut-être bien eux qu'elle avait entendus la veille au soir. Même si cela paraissait... étrange. Ce n'était pas des bruits habituels et il y avait eu ce cri lointain, comme étouffé par la forêt... Un cri faible, léger, mais long comme le vagissement d'un nouveau-né.

Jeanne reposa un peu trop brutalement son bol, son rythme cardiaque accélérant au fil de ses pensées. Ses deux amis la questionnèrent du regard.

– Vous n'avez rien entendu de bizarre, hier soir ? osa-t-elle.

– Si tu parles des « Oh oui, encore Tyler, t'es tellement bon, Tyler... »

– Mais non, t'es bête ! Des trucs plus bizarres que ça.

– Ah bah d'accord... J'en conclus que tu trouves ça « bizarre »...

Il ricanait en avalant sa dernière bouchée de pain alors que Tristan apparaissait dans l'embrasure de la porte.

– Eh bien, ça rigole ici !

– Jeanne trouve qu'on fait des trucs bizarres ! expliqua Tyler avant de finir son bol.

– Mais non, je ne parle pas de ça... J'ai entendu des bruits, dans la maison...

– C'est une vieille baraque, tu l'as dit toi-même, tenta de la rassurer Mathilde.

Il était hors de question de laisser Jeanne repartir dans ses idées noires et angoissantes. Tout comme il était hors de question de lui révéler qu'elle aussi avait entendu des bruits étranges lorsqu'elle s'était réveillée en pleine nuit. Des frottements, comme si on déplaçait un meuble quelque part dans la maison, mais aussi des chuchotements. Elle avait tendu l'oreille durant de longues minutes, à la recherche d'une explication, mais les bruits avaient cessé. Au matin, elle hésitait entre affirmer que ces murmures venaient des murs de la maison ou penser qu'elle avait plus ou moins rêvé tout cela. Et, face aux remarques sarcastiques de Tyler, elle préférait largement la seconde version. Toutefois, Jeanne ne partageait visiblement pas ses conclusions.

– Non, j'ai entendu le bois craquer, comme dans une vieille maison, mais il y avait autre chose. Comme des pleurs de bébés, étouffés, super loin...

– Ah, bah c'est joyeux ! tenta de se moquer Tristan en attrapant le bol de café que Tyler venait de lui servir.

– Je t'assure que je ne rêvais pas...

– On n'a pas dit ça, fit Mathilde en posant une main apaisante sur le bras de son amie. Mais les garçons n'ont visiblement pas entendu. Ils ont dû tomber de fatigue...

Elle glissa un petit clin d'œil moqueur à son amie, mais rien ne paraissait pouvoir la dérider.

– C'était flippant... Et toi, tu n'as rien entendu ?

Mathilde se raidit imperceptiblement. Non, il était hors de question qu'elle avoue avoir perçu des chuchotements dans les murs. Hors de question qu'elle alimente les moqueries de Tyler. Même si, pour ce faire, elle allait devoir mentir à sa meilleure amie, et même la faire passer pour une folle... Elle pourrait toujours lui expliquer, plus tard...

– Non, j'ai dormi d'un bloc toute la nuit.

Les mots avaient un goût amer sur sa langue, le goût de la trahison. Cependant, Mathilde réussit à se persuader qu'elle faisait cela pour le bien de tout le groupe : inutile de les affoler avec des impressions étranges qui tenaient plus du rêve que d'autre chose.

– OK, soupira Jeanne... C'est moi qui suis folle.

Le baiser des ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant