– Je te promets que s'il nous arrive un truc, je te tue !
– Arrête tes conneries, Tyler, et avance !
L'interpellé se tourna vers le petit groupe qu'il précédait sous une pluie battante. Perdus sous leurs ponchos, dégoulinants, le regard agrandi par la peur, leur petite troupe n'en menait pas large. Cependant, il n'y était pour rien.
– Je te rappelle que ce n'était pas mon idée, cria-t-il pour se faire entendre.
En face de lui, un petit brun lui lança un regard noir. Les boucles noires qui encadraient habituellement son visage jovial pendaient le long de ses joues, plaquées par les litres d'eau qu'ils avaient reçus ces dernières heures. Le tonnerre roula dans le ciel noir et il eut l'impression que les yeux de Jeanne allaient lui sortir des orbites. Heureusement, Mathilde lui attrapa la main pour la rassurer.
Quelle bande de bras cassés, tout de même ! songea Tyler en reprenant sa marche forcée entre les larges pins.
S'il s'était douté que partir ensemble en voyage allait tourner au fiasco, il se serait abstenu. Certes, l'idée de n'avoir Tristan que pour lui pendant presque trois semaines avait pesé dans la balance, mais il aurait préféré partir en couple quelques jours avec son mec plutôt que de traîner les deux nanas avec eux. De vrais boulets, incapables de gérer la moindre situation stressante. À se demander à quoi elles s'attendaient lorsque Tristan leur avait dit qu'ils partaient au fin fond de la forêt du Tongass pour bivouaquer en pleine nature ! Il n'avait pas annoncé un séjour cinq étoiles avec spa et serviettes chaudes !
Tyler enjamba une branche morte alors qu'un nouvel éclair zébrait le ciel. Putain ! Cet orage n'en finirait donc jamais ? Ils ne voyaient pas à plus de vingt mètres à cause du rideau de pluie qui tombait sans discontinuer depuis le matin. Et malgré son assurance, il devait bien reconnaître qu'ils s'étaient bel et bien perdus !
– Tu suis toujours la boussole ? questionna Tristan derrière lui.
– Oui...
Comment avaient-ils pu en arriver là ? La voiture les avait lâchés juste avant d'arriver sur le point de départ de leur excursion. Si Mathilde avait vu cela comme le signe qu'il valait mieux appeler les secours et rebrousser chemin, les garçons avaient insisté pour se lancer tout de même. Après tout, cela ne les rallongeait que de quelques kilomètres et ils avaient des vivres pour trois semaines !
D'ailleurs, ils n'avaient pas regretté leur décision durant la première semaine : la forêt et les contreforts de la montagne étaient magnifiques. De larges rivières sillonnaient les abords du plus grand domaine sauvage et naturel de cette partie de l'Alaska, et ils avaient pu prendre en photos de nombreux animaux sauvages... jusqu'à ce que le téléphone de Tristan ne soit emporté par le courant. Le jeune homme avait pesté et tempêté, mais impossible de rentrer plus avant dans la rivière sans se mettre en danger. Le téléphone était perdu.
L'incident avait porté un gros coup au moral du groupe, mais ce qui avait vraiment déprimé les filles avait été la perte du smartphone de Jeanne qui rendit l'âme lors d'une chute contre un rocher. Écran fendu en deux, rien à faire pour le redémarrer... Les filles avaient suggéré de faire demi-tour, mais ils avaient fait plus de la moitié de leur boucle, aussi mieux valait terminer leur tour plutôt que de rebrousser chemin.
L'atmosphère était devenue lourde de silences et les jeunes gens s'étaient mis à marcher sans vraiment parler durant deux longues journées.
– Tu crois qu'on est encore loin ? osa Jeanne.
Tyler serra les poings pour tenter de contenir sa colère, en vain.
– Si t'avais pas laissé le sac avec les cartes hors de la tente, on saurait certainement un peu mieux où on est ! pesta-t-il.
Jeanne baissa la tête sans répondre.
– Comme si on pouvait savoir qu'un ours le choperait pour se barrer avec ! contre-attaqua Mathilde.
– Non, t'as raison ! C'est pas comme si c'était écrit sur toutes les cartes « attention, grizzlis »... Ah, mais suis-je con : on n'a plus les cartes, on peut pas savoir !
– C'est bon, arrête Tyler...
Tristan tentait comme toujours d'apaiser les tensions, mais cela commençait à faire beaucoup pour le petit groupe.
– Au bout d'un moment, faut peut-être être conscient qu'on est paumés ! cria-t-il en faisant face à ses trois amis. Pau-més ! On n'a aucun des deux téléphones qui captent, plus de cartes, juste une putain de boussole et l'idée qu'on va traverser la plus grande forêt du continent pour atterrir sur la côte Ouest où, peut-être, on trouvera un bled tout aussi paumé que nous !
Nouvel éclair, comme si le ciel ponctuait ses propos. Jeanne serra un peu plus fort la main de Mathilde lorsqu'elle croisa le regard azur de celui qui avait pris la place de leader. Tyler avait toujours aimé se mettre en avant et diriger tout le monde. Mais s'il était bon pour prendre des décisions dans les situations d'urgence, il était franchement nul pour rassurer ses troupes...
– Attends, intervint Mathilde en faisant un pas, je crois que j'ai vu quelque chose...
– Quoi donc ? glapit Jeanne.
– Là, entre les arbres...
La jeune femme pointait un doigt indécis entre deux larges troncs centenaires, mais le rideau de pluie et l'heure déjà avancée de l'après-midi ne leur permettait pas de voir quoi que ce soit. Aussi, ils attendirent. Suspendus au bout du doigt de la jeune femme, ils guettèrent le prochain éclair qui leur révélerait peut-être un nouveau décor, comme le troisième coup frappé par le brigadier et qui annonce le lever de rideau au théâtre.
Le tonnerre roula dans le ciel sombre et un éclair d'une rare violence déchira les cordes tissées par la pluie, révélant une bâtisse dissimulée dans la pinède. L'image disparut presque instantanément, telle une illusion. Avaient-ils rêvé ? Les quatre jeunes gens se regroupèrent, comme pour faire face à un nouveau danger. Pourtant, cette maison était sans doute ce qui se rapprochait le plus de leur salut.
– Mais... qui peut habiter là ? glissa Jeanne.
– Je ne sais pas, mais on a trouvé un endroit où passer la nuit ! affirma Tyler en s'élançant.
Derrière lui, aucun des étudiants ne bougea, comme si la solution trouvée était pire que de finir perdus en forêt, sous l'orage. Ils échangèrent un regard inquiet, puis se résignèrent à suivre celui qui s'était autoproclamé leur leader.
Venez découvrir les coulisses de l'écriture de ce roman jeudi 29 juin, toute la journée, sur Twitch.
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Le baiser des ténèbres
TerrorQuand l'errance se transforme en cauchemar, où se situe la frontière entre la peur et la réalité ? Voici "Le baiser des ténèbres", le dernier thriller psychologique de Karine Carville, qui entre désormais dans l'arène horrifique. En pleine excursion...