La matinée avait filé à toute allure entre douches, rangement, et exploration méthodique de toutes les pièces de la maison. Ils avaient tenté d'allumer le PC de la chambre du bas, mais un mot de passe leur interdisait d'aller plus loin. Ils s'étaient alors rabattus sur la fouille des placards de la vaste cuisine. Les jeunes avaient pu constater qu'il n'y manquait rien, ni sur le plan des ustensiles ni sur celui de l'électroménager. La pièce était plutôt propre, mais la poussière qui s'accumulait sur certaines étagères et sur une partie de la vaisselle laissait à penser que peu de personnes vivaient ici et que les invités étaient rarissimes.
– En tout cas, avec ce qu'il y a dans les placards, on a de quoi tenir un bon moment, constata Tyler. C'est rempli de bocaux de légumes faits maison.
– Il y a peut-être un potager dehors ? supposa Tristan en collant son nez à la fenêtre. Mais avec ce brouillard, comment savoir ?
– D'un autre côté, être autonome quand tu vis ici, c'est la base.
– Vous entendez ? glissa Jeanne.
Les deux garçons se tournèrent vers elle, un sourcil levé. Un instant, la jeune femme craignit qu'ils ne la prennent encore une fois pour une dingue, mais le bruit se reproduisit.
– Putain, y'a des poules quelque part !
Tristan approuva en silence : le caquètement des volatiles était reconnaissable. Si seulement ce foutu brouillard voulait bien se lever...
– Je peux peut-être nous cuisiner quelque chose pour ce midi, proposa Mathilde en ouvrant un large tiroir contenant des poêles.
– Bonne idée, je vais refaire le tour de l'étage, annonça Tristan.
– Je t'accompagne, Bouclettes, je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose.
– M'appelle pas comme ça, Tyler...
Le sourire de ce dernier s'élargit davantage face au mécontentement de son amant et il ne résista pas à passer sa main dans la crinière noire et bouclée qui lui avait valu ce surnom. Tristan se dégagea d'un mouvement de tête et s'élança à la poursuite de Tyler qui avait atteint l'escalier en deux bonds. Les garçons montèrent les marches deux à deux en riant, laissant les filles se charger de leur prochain repas.
Parvenus à l'étage, Tyler se dirigea spontanément vers la chambre du fond et Tristan vers le bureau.
– Tu cherches quoi ? demanda Tyler en s'éloignant.
– J'sais pas trop, un truc qu'on aurait loupé hier soir ? On était crevé, on n'a sans doute pas tout bien regardé...
– OK.
Tristan pénétra de nouveau dans la pièce au décor minimaliste. Un bureau, deux chaises, deux tiroirs dans le bureau. Il commença par les explorer, n'y découvrant que quelques papiers au nom de Jérémy Brown. Le nom du propriétaire des lieux ? Sans doute. Pas de factures d'eau et d'électricité. À se demander comment arrivaient les réseaux jusqu'ici... Dans l'autre tiroir, un coupe papier affûté, une calculatrice solaire d'un autre âge, deux crayons à papier. Aucun dossier, aucune archive...
Tristan se redressa pour fixer le meuble bibliothèque et sa vitrine. Les carreaux n'étaient pas très propres, mais la clef sur la porte de droite assurait de pouvoir ouvrir le meuble. À l'intérieur, de vieux exemplaires de romans reliés cuir proposaient leurs dos usés aux lecteurs aventureux. Mobydick, Le Horla, Mémoires d'Outre-tombe, Le terrible vieillard, Le Père Goriot... des classiques d'un autre temps. Il s'empara un instant du marque page posé sur la seconde étagère : un modèle sans doute conçu par un petit artisan qui avait enfermé dans des arabesques argentées une délicate plume de paon.
Le seul objet un peu personnel de toute la maison, nota Tristan pour lui-même avant de le reposer à sa place.
Il attrapa le pot à crayon juste à côté, un simple pot en métal décoré de dessins enfantins. Une clef se trouvait plaquée contre l'un de ses bords. Tristan s'en saisit délicatement. Elle était plutôt moderne et pourrait bien correspondre...
Le jeune homme sentit l'excitation le gagner tandis qu'il ressortait du bureau pour se diriger vers la porte qui lui faisait face. La clef rentra sans difficulté dans la serrure, mais il ne réussit pas à la tourner. Dépité, il la reprit avec lui avant de se tourner vers l'autre porte close du premier étage... En quelques pas, il fut face au battant juste à droite de l'escalier. La clef glissa de nouveau sans résistance dans la serrure, et cette fois-ci Tristan put la tourner sans difficulté. La poignée céda sous la pression, libérant la porte qui grinça sur ses gonds en s'ouvrant. Une odeur animale mêlée à celle des cendres agrippa les narines de Tristan.
– T'as trouvé quoi ?
Le jeune homme cria en se retournant. Dans le même mouvement, il abattit sa main sur la joue de Tyler, lui faisant ravaler son sourire.
– Putain ! Tu m'as fait peur, connard !
Tyler porta la main à sa joue brûlante, une réelle surprise dans le regard, avant de partir dans un grand éclat de rire.
– Ah, mais comment t'es un trouillard, toi ! Mais un trouillard qui se défend !
Tristan se calma immédiatement et repoussa la main de Tyler. Une trace rouge y apparaissait déjà.
– Merde, je suis désolé...
– T'inquiète, je l'ai méritée ! sourit Tyler en enroulant un bras autour de son amant. Et puis, je suis plutôt séduit par ce côté sauvage que je ne te connaissais pas...
– Ça va, les garçons ? demanda Mathilde depuis le bas de l'escalier.
– Oui ! Tristan a ouvert une porte et bascule vers les pratiques BDSM.
– Quoi ? s'égosilla la jeune femme.
Ses pas résonnèrent dans l'escalier, bien vite suivis par ceux de Jeanne. Elle jeta un coup d'œil rapide aux garçons, jaugeant rapidement de leur manque de sérieux en ce qui concernait la seconde affirmation de Tyler, puis les dépassa pour se glisser dans la pièce encore sombre. Du bout du doigt, elle enclencha l'interrupteur. Cette fois-ci, ce fut un lampadaire qui diffusa une lumière blafarde sur les nombreux objets qui encombraient toute la pièce.
– Ben moi qui trouvais que ça manquait d'objets perso, souffla Tristan dans son dos.
– Y'a quoi comme trucs ici ? demanda Tyler en les poussant pour entrer dans la pièce.
À ses côtés, Mathilde porta une main devant sa bouche.
– Des fœtus en bocaux... s'étrangla-t-elle.
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Le baiser des ténèbres
HorrorQuand l'errance se transforme en cauchemar, où se situe la frontière entre la peur et la réalité ? Voici "Le baiser des ténèbres", le dernier thriller psychologique de Karine Carville, qui entre désormais dans l'arène horrifique. En pleine excursion...