Chapitre 2 - 4

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– Tu vas le briquer longtemps ton truc, là ? T'aurais mieux fait de le laisser là-haut.

Mathilde répondit d'un haussement d'épaules à la remarque acerbe de Tyler. Munie d'un chiffon doux et d'un peu d'huile spéciale pour le bois qu'elle avait trouvée dans l'un des placards de la cuisine, elle lustrait méthodiquement tous les coins et recoins du ouija. Elle avait toujours rêvé de posséder un tel objet. Pas l'un de ces trucs de pacotilles vendus dans des bric-à-brac, mais un vrai objet occulte, qui avait fait ses preuves, dont s'étaient servies d'autres personnes avant elle. Mais le prix des véritables antiquités dépassait largement son maigre budget étudiant.

– Je ne vais pas le voler...

– Imagine que le type qui habite ici rentre et te trouve avec... fit Jeanne.

Mathilde lança un regard en coin à son amie qui s'arrachait méthodiquement la peau autour des ongles. Elle plaça une main sur les siennes pour stopper son geste.

– Et alors ? Je fais juste un peu de ménage, t'inquiète pas.

Jeanne opina, à peine plus rassurée. Quelque chose clochait ici, elle en était de plus en plus convaincue. C'était un sentiment assez inexplicable, un peu comme les cris étranges qu'elle avait entendus la nuit précédente, mais rien n'allait dans cette maison. Elle avait l'impression d'être dans un théâtre, un lieu où un décor avait été planté pour duper les personnes qui oseraient s'y aventurer. Comme si tout était faux et que les cloisons tomberaient un jour ou l'autre pour dévoiler le lieu sordide qu'elles dissimulaient. Mais comment en convaincre les autres ? Ils étaient soit totalement insensibles aux bizarreries qu'ils découvraient, soit fascinés comme Mathilde par les objets glauques découverts dans des pièces fermées.

Cette maison n'a pas fini de révéler ses secrets, et je n'ai aucune envie d'y rester pour les connaître, se dit la jeune femme en portant l'ongle de son index à sa bouche.

– Vous avez vu ? lança Tyler, comme en écho à ses pensées.

Les trois amis levèrent la tête vers lui pour découvrir une longue carabine entre ses mains.

– Whooo, repose ça, ordonna Tristan. On a suffisamment d'ennuis comme ça !

– T'inquiète, Bouclettes, je gère. Je sais me servir de toutes les armes qui sont dans cette vitrine.

– Mais, la porte était fermée, non ?

– La clef était posée juste à côté de toi, mon biquet, dans la petite soucoupe sur le guéridon. Et les armes semblent parfaitement fonctionnelles et utilisables. Y'a même des boîtes de munitions juste en dessous...

– OK, OK, mais repose ça. Vraiment.

– Ah la, je t'ai déjà vu plus courageux, soupira Tyler en s'exécutant.

Puis, se tournant vers ses amis :

– Je m'emmerde ! On fait quoi ?

– On s'en va ? proposa Jeanne.

Tyler indiqua la fenêtre d'un geste mi-dramatique mi-impuissant.

– Il repleut ! Moi, j'suis pas pour qu'on retourne se faire saucer. Il doit y avoir à peine dix degrés dehors, c'est déjà un miracle qu'on ait passé cinq jours à marcher dans cette foutue forêt sans attraper la mort, alors je reste au chaud.

– Mais on part quand, du coup ?

– Bientôt, Jeanne, la rassura Mathilde. Écoute, on est au chaud, on s'est même cuisiné un bon petit plat ce midi. Encore un peu de patience, et on va partir.

Jeanne hocha la tête avant de se trémousser avec un sourire contrit.

– Faut que j'aille aux toilettes...

– Si t'as peur de monter toute seule, je t'accompagne, proposa Tyler. Ça m'occupera cinq minutes.

– Merci.

Ils quittèrent la pièce, laissant derrière eux Mathilde qui terminait de lustrer son ouija et Tristan plongé dans la lecture du Horla. Quelques instants plus tard, Tyler faisait les cents pas dans le couloir du premier étage en attendant Jeanne.

– Arrête de tourner derrière cette porte, la supplia la jeune femme. Tu me stresses.

– Ah bah, je fais quoi ? Je glisse mon pied comme lorsqu'on était mômes ?

– On n'a jamais fait ça quand on était mômes, on se connaissait pas !

– Oui, mais tu vois le truc.

– Oui. Mais je préfère qu'on parle plutôt.

– J'ai bien un sujet, reprit Tyler, mais il ne va pas te plaire...

– Tente toujours...

– T'as parlé de votre père avec Tristan.

Soupir derrière le battant de la porte.

– Non, lâcha enfin Jeanne, il ne veut rien entendre. Il pense que tout ce qui lui est arrivé est injuste et la faute de ma mère...

– Tu ne prends peut-être pas les choses de la bonne façon.

– Si t'as une idée, je suis preneuse...

– Tristan t'aime beaucoup, tu sais. Peut-être que si tu prenais le temps de vraiment discuter avec lui et de lui raconter ce que tu as vécu avec ta mère...

Un bruit de chasse d'eau coupa la phrase de Tyler qui eut l'impression que sa proposition venait d'être rejetée, éliminée dans les toilettes d'une simple pression de bouton. La porte s'ouvrit sur Jeanne qui le fixa un court instant avant de se diriger vers l'escalier.

– Jeanne...

– Non, ça je ne peux pas. J'aurais l'impression de lui faire volontairement du mal, et j'aime trop mon frère pour ça...

La jeune femme se rua dans les escaliers sans entendre Tyler grommeler « Demi-frère seulement... »


Le baiser des ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant