La pluie s'abattait sur les vitres du salon, faisant chanter le verre dans des aigus à la limite du supportable. Pourtant, Mathilde n'avait pas envie de rejoindre ses compagnons dans la cuisine où se préparait le dîner. Pelotonnée dans un coin du canapé, elle laissait son regard errer sur le ouija brillant posé sur la table basse. Comme elle l'avait prévu, son intérêt pour cet objet occulte lui avait valu quelques rires sous cape, tout particulièrement de la part de Tyler, toujours prompt à se moquer de tout et de tout le monde. La jeune femme avait tenté d'ignorer ses petites piques sans conséquence, son humour un peu déplacé, mais une partie d'elle encaissait mal ses remarques.
Mathilde avait toujours aimé les histoires de sorcières, amour que sa mère avait entretenu au fil des ans en lui lisant tous les livres dont l'héroïne appartenait à cette catégorie de femmes aux pouvoirs tantôt bénéfiques, tantôt maléfiques. Puis, en grandissant, elle s'était intéressée à l'histoire des sorcières, celles de Salem, mais aussi celles plus discrètes qui peuplaient les contes et les légendes américaines.
Elle ne fut donc pas vraiment surprise d'apprendre un jour que sa mère avait quelques dons qu'elle exerçait auprès de ses proches. L'adolescente en avait souri, partagée entre la moquerie face à ce qu'elle voulait voir comme des superstitions d'adultes et l'envie de pratiquer comme sa mère. Ce n'est que lorsqu'elle avait appris à tirer des oracles que Mathilde avait ressenti pour la première fois cette impression si particulière d'être pleinement elle-même.
Cependant, être soi-même quand on est une jeune métisse dans un lycée américain majoritairement blanc, n'était pas facile. La jeune fille avait compris à ses dépens que mieux valait ne pas parler à ses amis de « ces choses-là », comme disait sa mère. C'était pourquoi, hormis à Jeanne qu'elle connaissait depuis l'enfance, elle s'était abstenue de parler de sa passion pour les arts occultes aux autres étudiants.
Seulement, tout fini toujours par se savoir, pensa la jeune femme en soupirant.
D'une main, elle attrapa son téléphone portable dans la poche arrière de son jean. La batterie était à moitié déchargée, mais à quoi bon la recharger ? Il n'y avait aucun réseau ici, aucun moyen d'appeler quelqu'un pour avoir de l'aide...
Elle déverrouilla son écran et swipa pour arriver sur sa galerie de photos. Un regard gris à moitié dissimulé sous d'épais cils noirs attrapa le sien. Tant de promesses dans ce simple échange, tant d'espoirs aussi. Mathilde passa quelques photos jusqu'à retrouver le visage de Liam parmi la foule. Elle appuya longuement sur son écran pour permettre à l'image de se mouvoir durant un court instant. Les cheveux mi-longs de Liam effleurèrent ses larges épaules et, de nouveau, ses prunelles grises glissèrent vers l'objectif de Mathilde.
La jeune femme soupira et reposa son téléphone. Pourquoi se faire du mal ainsi ? Cela ne servait à rien. Liam et elle, c'était fini. Avant même de réellement commencer. Pourquoi s'était-il ainsi rapproché d'elle pour la délaisser quelques semaines plus tard ? Que s'était-il passé ? C'était la première fois qu'un homme s'intéressait à elle et cela avait été un fiasco. Était-elle à ce point différente des autres avec ses cheveux bouclés couleur caramel et sa peau hâlée ? Qu'est-ce qui avait bien pu clocher ?
– À taaaaable ! clama Tyler depuis la cuisine.
La jeune femme sortit de son cocon de solitude pour rejoindre ses amis. Il était inutile de ressasser le passé : le présent leur réservait déjà suffisamment de problèmes !
VOUS LISEZ
Le baiser des ténèbres
HorrorQuand l'errance se transforme en cauchemar, où se situe la frontière entre la peur et la réalité ? Voici "Le baiser des ténèbres", le dernier thriller psychologique de Karine Carville, qui entre désormais dans l'arène horrifique. En pleine excursion...