Chapitre 4

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Kaveh a toujours tenu à faire plaisirs à ses clients, tout en gardant ses valeurs et son amour pour l'art. Pourtant, chaque personne avait sa vision des choses, et une perspective différente de celle de l'architecte. Dans ces moments-là, il songeait beaucoup à ses capacités, se rabaissant énormément en pensant à la manière dont réagirait sa mère dans la même situation.

À nouveau, il s'était endormi sur ce genre de pensée, la tête écrasant ses nombreux croquis. Il n'était satisfait d'aucun, et son cerveau épuisé s'était seulement éteint dessus pour qu'il se repose. Les nuits blanches ne sont bonnes pour personne, et encore moins pour un architecte en proie au doute. Peu importe ô combien il aimait son métier, il se sentait constamment en conflit avec lui-même, sans pour autant l'admettre.
En se réveillant face aux rayons du soleil, il passa un moment à fixer le vide, épuisé de sa nuit de travail inutile. Lorsque Kaveh se redressa, il sentit glisser de ses épaules un plaid fraichement déposé. Son colocataire pouvait-il avoir ce genre d'attention envers lui ? Il voulait le nier, mais il n'y avait bel et bien qu'eux deux vivant dans cette maison, avec aucune possibilité que quelqu'un d'autre le recouvre lorsqu'il s'endormait d'épuisement. L'idée qu'un être aussi froid qu'Al-Haitham prenne soin de lui, lui faisait plaisir malgré lui. Il avait sûrement fait ça par bon sens, après réflexion, mais ça n'était pas si important d'y penser après coup.
Après ce petit moment à se soucier d'autre chose que de ses problèmes, l'observation de ses croquis ramenait Kaveh à la réalité. Il devait présenter de nouvelles choses qui plaisent à son client le jour-même, sans quoi celui-ci changerait d'architecte. L'homme prit une grande inspiration et sans plus d'attente, se remit à dessiner.

—Tu ne comptes même pas manger quelque chose ?

Kaveh sursauta, faisant grincer son critérium sur sa feuille. Il tourna un regard énervé vers son colocataire dont il n'avait pas remarqué l'arrivée. Celui-ci était appuyé sur l'encadrement de la porte, fixant Kaveh de son habituel regard.

—Annonce ta présence au lieu d'arriver comme un pilleur !
—Comme un pilleur ? Je ne vais pas piller ma propre maison.
—Pff...tu es pénible.
—Pas autant que toi.
—Al-Haitham !

Kaveh avait hausser le ton, indigné à nouveau par le comportement de l'homme qui l'hébergeait.

—Sur quoi travailles-tu encore ? Ce n'est pas bon de veiller aussi tard.
—Je ne vois pas pourquoi tu fais mine de t'y intéresser. Tu ne comprendrais pas.
—Alors explique-moi.
—À quoi bon ? Quoi que je dise, tu ne vas pas essayer de te mettre à ma place et rétorqué des choses que je ne veux pas entendre de toute façon.
—Ce sera sûrement le cas, oui.
—Tu vois ! Je ne te dirais rien !

La vérité, c'était que même si cette situation allait sûrement arriver, le scribe avait pour une fois pris l'initiative d'écouter Kaveh. Peu importe leurs avis divergent, il avait eu l'envie de l'entendre déblatérer des choses auxquelles il ne s'intéressait pas. Ces derniers temps, Kaveh lui parlait beaucoup moins de son travail à cause de leurs débats ne menant à rien, et ça avait eu l'étrange effet de manquer à Al-Haitham. Peut-être parce qu'un Kaveh trop silencieux devenait inquiétant, ou peut-être qu'il était simplement soucieux de lui. Mais voir ainsi le blondinet lui répondre avec autant d'ardeur avait un effet rassurant, et il n'insistait donc pas à continuer de parler. Kaveh avait soupiré un grand coup en se replongeant dans ses croquis, sans se soucier de rien. Le scribe de son coté, prit place non loin de lui, gardant un oeil attentif aux mouvements de l'architecte, mais en ouvrant tout de même un bouquin en silence. Ainsi passa la journée, et lorsque Kaveh se redressa sur sa chaise, il se rendit compte que son colocataire était toujours assis dans la même pièce que lui, complètement plongé dans sa lecture. Il se surprit à l'observer quelques secondes, jusqu'à ce que le scribe croise son regard et que Kaveh détourne le sien.

—Tu as fini tes croquis ?
—Oui. Je dois me dépêcher de rejoindre mon client...

Kaveh rassemble ses affaires rapidement et se lève au même rythme. C'est alors qu'un vertige le prit soudain, et qu'il se rattrapa à la table. Il sentit une main lui attraper le bras.

—Je vais bien...!

Kaveh tenta de le repousser, sentant son corps le lâcher dans la foulée. Cependant, il fut entièrement rattrapé par Al-Haitham, qui le tenait fermement contre lui.

—Tu n'as rien avalé aujourd'hui. Va voir ton client après avoir manger.
—Je ne peux pas...! Si je n'y vais pas maintenant, je perds mon client !
—Si tu t'étais ménagé, tu serais en état d'aller à sa rencontre.
—Ne me fait pas la morale !

Kaveh repousse l'homme comme il peut, sans y arriver, les poings serrés.

—Kaveh...
—Ne me fait pas la morale...toi qui passe ton temps à mépriser ma façon de faire les choses.
—Je ne méprise rien, je trouve seulement que tu en fais trop. Tu te fatigue pour des choses qui...-
—Ces choses...! Elles sont importantes pour moi...! Sans ces choses, je ne suis rien...! N'essaie pas de me convaincre de prendre soin de moi, lorsque quelqu'un attend d'être satisfait de mon travail...

Les mains d'Al-Haitham viennent alors s'accrocher aux bras de Kaveh, puis il attrapa les affaires du blondinet.

—Je t'accompagne. Tu mangeras sur le chemin.
—Al-Haitham...?
—Ne traînons pas. Ton client t'attend, non ?

Kaveh observa un moment son colocataire, puis fini par hocher la tête. Ils allèrent à la rencontre de ce client, Kaveh se faisant soutenir par le scribe tout du long.

HaiKaveh ~ Une Histoire De ConflitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant