Chapitre 5

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Kaveh ouvrit les yeux difficilement, des gouttes de sueur perlant sur son visage. Il venait de faire un énième cauchemar, de ceux dont on ne se remet pas en quelques instants. Il observa la pièce dans laquelle il était, sa chambre dans l'obscurité. Une journée était passée depuis le moment où son client avait refusé son travail. Celui dans lequel il avait mit tout son temps et son talent. À nouveau, il se sentait mal d'avoir l'impression de n'être utile à personne. Peu importait la part de lui qu'il donnait dans son travail, personne n'en était satisfait. 

Le jeune homme était épuisé mentalement autant que physiquement. Après le départ du client perdu, il s'était totalement évanoui. Il avait de vagues souvenirs de son colocataire le ramenant ici jusqu'à son lit, sans que ce ne soit réellement clair. Kaveh observait le plafond en silence, pensant à sa mère qui était parti loin de lui. Il se demandait si elle, elle aurait fait de meilleurs choix de vie. Au moins était-elle heureuse là où elle était, avec un homme aimant. Mais Kaveh, lui, qu'avait-il vraiment ? Pourquoi se raccrocher à si peu de choses ? Il songea à la question un moment, une pointe au cœur, la fatigue le reprenant soudainement. Il se retourna dans son lit n'étant pas vraiment le sien, dans cette chambre n'étant pas vraiment la sienne. Qu'était-il à part un parasite dans une maison ne lui appartenant pas ? Il s'en voulait de gêner, ou simplement d'exister à ce moment précis. 

—Kaveh ? 

Lui qui venait de refermer les yeux, les rouvrit alors en entendant cette voix familière. Il vit la silhouette d'Al-Haitham avancer dans l'obscurité de la pièce, s'approcher de lui. Kaveh tendit sa main dans sa direction, main qui fut réceptionnée par celle du scribe. 

—Tu es réveillé depuis longtemps ? 

Al-Haitham vient s'asseoir près de lui sans lâcher sa main, puis il vient jauger sa température en collant ses doigts sur sa tempe. 

—Kaveh ? 
—Ah...! Je...ça fait quelques minutes...peut-être un peu plus. 
—D'accord. Je reviens. 

L'homme se leva et s'élança pour quitter la pièce, mais Kaveh tira sur sa main encore liée à la sienne, ce qui arrêta l'avancée du scribe. Il tourna son regard perçant en direction du blondinet, qui gloussa avant d'élever sa voix fatiguée dans la pièce.

—Pourquoi est-ce que tu me laisse vivre ici ? 

Il venait de poser une question qui le terrifiait. Ce qui lui faisait le plus peur, c'était de connaître sa réponse. Il se la posait tous les jours, sans jamais avoir osé avant ; alors pourquoi maintenant ? 
Peut-être simplement car c'était le moment. Parce qu'il le fallait, qu'il se sentait prêt à entendre ce qu'il redoutait. Mais en voyant que l'homme ne réagissait pas, Kaveh sentit son coeur s'accélérer. Dans une certaine panique, il continua.

—Je ne te dérange pas ? Je te prend une pièce entière, je redécore à mes goûts, on se dispute constamment...!

Le regard d'Al-Haitham était indéchiffrable. On pouvait malgré tout y déceler une certaine douceur rassurante. Kaveh tenant toujours sa main, vint s'accrocher de l'autre à son avant bras dans un geste désespéré.

—Est-ce que je suis une gêne ? Haitham, répond-moi...

Al-Haitham vient doucement enrouler l'autre main de Kaveh de la sienne, en se rapprochant de lui d'un pas. Il finit par ouvrir la bouche, et laisser échapper des paroles rêvées par l'architecte.

—Tu es ici chez-toi, ça a été le cas au moment où tu y as posé tes affaires.

Kaveh se mit à trembler, retenant des larmes qui ne demandaient qu'à s'échapper. Il se sentait submergé, hôte de pensées bien trop sombre pour un être empli d'empathie. 

—Tu avais de la fièvre quand tu t'es évanoui, et tu en as encore. Ne bouge pas, je vais te chercher de l'eau. 

Kaveh hocha la tête en silence, en observant chaque geste du scribe, qui prit le temps de se détacher du blondinet, de venir poser sa main sur sa tête et de lui faire une caresse avant de finalement s'en aller en quête d'eau. Peut-être était-ce à cause de la fatigue ou bien la fièvre, mais ce moment ne lui avait pas déplu.

Lorsque Al-Haitham fini par revenir, Kaveh somnolait, prêt à tomber dans le sommeil d'une minute à l'autre et pourtant, tenace à attendre son eau promise. L'homme lui tendit le verre, qui fut rapidement vidé. Kaveh ne s'était pas rendu compte lui-même d'à quel point il était déshydraté.

—Tu as encore soif ?

Kaveh hocha la tête et un nouveau verre d'eau apparut rapidement sous ses yeux, qui fut aussi vite bu que le premier.

—Tu devrais te rendormir maintenant, Kaveh.
—Est-ce que...tu peux rester un peu là ?

Al-Haitham semblait surpris, mais revint juste s'asseoir à coté de lui en silence, appuyant son dos contre le dossier du lit. Il attrapait le livre sur la table de chevet et se mit à le lire aussi simplement que ça. Kaveh, lui, s'était rallongé, rapprochant doucement sa tête d'Al-Haitham. Sentir une présence à coté de lui le rassurait, et il se sentait plus serein en fermant les yeux pour s'endormir.

Al-Haitham détacha les yeux de son livre, posant sa main sur la tête d'un Kaveh endormi lentement.

—Bonne nuit, Kaveh.

HaiKaveh ~ Une Histoire De ConflitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant