Chapitre 6 ~ La Psychologue

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Un frisson m'a parcouru le dos lorsque j'ai entendu mon nom.

Comment le connaissait-elle ?

Je n'en avais aucune idée, et cela n'avait rien de rassurant. D'autant que je n'avais encore jamais vu cette femme de ma vie - je m'en souviendrai.

Alors que nous nous asseyons dans la salle d'attente avec ma mère, je me suis tournée vers elle.

-  Tu... lui a dit mon prénom ?

-  Hein ? De qui tu parles ? a-t-elle dit sur un ton légèrement agacé.

Elle a froncé ses sourcils soigneusement épilés, en signe d'incompréhension.

-   La femme à l'accueil.

-   Ah ! C'est d'elle que tu parles.

Elle a détourné les yeux et a pioché un magazine dans une pile désordonnée sur une petite table en face de nos sièges, et a commencé à le feuilleter.

-  Je lui ai seulement dis ton nom de famille, je n'avais pas besoin de donner ton prénom pour la prise de rendez-vous.

Mon sang s'est glacé dans mes veines. Mais alors, comment le connaît-elle ?

Je m'inquiète sûrement pour rien, mais je dois avouer que je ne suis pas du tout rassurée, avec tout ce qui m'arrive en ce moment.

Mais je n'ai pas eu le temps de me poser plus de questions, car la porte du bureau de la psychologue s'est ouverte.

-   Bonjour, vous êtes mon prochain rendez-vous ?

Elle n'était pas du tout comme je l'avais rêvé. C'était une vieille femme ridée aux cheveux gris argentée coupés courts.

Elle nous a dévisagé de ses petits yeux bleu très clairs. Elle se voulait sûrement accueillante, mais ce n'était pas du tout l'image qu'elle renvoyait.

Ma mère s'est empressée de se lever en posant le magazine et s'est approchée.

-   Oui, c'est nous, bonjour.

-   Je suis Madame Milles, entrez je vous en prie, a t-elle répondit en nous laissant pénétrer dans son bureau.

La pièce était très éclairée. Un grand bureau en bois brun trôné au milieu de la salle, et deux chaises avaient été placées juste devant. Une grande bibliothèque de livres de psychologie et de médecine était appuyée contre le mur du fond, et un sofa couleur cannelle ainsi qu'une petite table basse comblaient l'espace vide.

-   Asseyez-vous, nous a t-elle invité en prenant place derrière son bureau.

Elle a joint les mains devant elle et nous a regardé tour à tour, avant de poser la question que j'attendais.

-  Dites-moi, qu'est-ce qui vous amène ?

Ma mère a inspiré un peu trop bruyamment, puis a finalement répondu.

-  Nous sommes en deuil, depuis 5 mois. Elle s'appelait...Elena, et elle était la sœur jumelle de ma fille ici présente, Wendy.

Mme Milles a hoché la tête, avant de diriger son regards vers moi.

-  Et tu n'arrives pas à t'en remettre je suppose ? Les deuils sont des cas souvent abordés dans ce cabinet, j'ai l'habitude de traiter ce genre de problème. Mais bien évidemment, la capacité à se remettre d'un tel drame varie selon les personnes.

Nous écoutions sans rien dire, et elle a continué, toujours en me fixant de ses yeux bleus perçants.

-  J'aimerais d'ailleurs te poser une question. Comment vis-tu depuis sa disparition ?

Elle a osé me poser cette question ? Comment je vis ?!

J'ai hésité à lui répondre, mais ma mère a pris les devants.

-   Elle n'a plus de vie sociale ! Elle passe ses journées devant la télé ou dans sa chambre à dormir, elle ne pense qu'à Elena !

Son ton était devenu assez violent et brusque. Elle criait presque, mais cela ne parut pas destabiliser Mme Milles. Elle devait avoir " l'habitude ", comme elle le disait si bien. Ma mère a continué son monologue, ne s'arrêtant que très peu pour reprendre son souffle :

-   Avec son père, on a l'impression de perdre notre deuxième fille. Elle ne nous écoute plus, ne nous parle plus. Elle erre dans la maison comme un fantôme ! Elena n'est plus là, il faut se rendre à l'évidence ! Pour nous aussi c'est dur, on était ses parents aussi ! Wendy ne fait même plus l'effort d'aller au lycée, elle ne voit plus personne, on ne sait plus quoi faire et je...

-  Excusez-moi Madame... ?

-  Mason.

-  Madame Mason, navrée de vous interrompre, mais c'est à votre fille que ma question était destinée.

Ma mère s'est tût, bouche ouverte, ébahie de s'être fait remballer de la sorte.

Intérieurement, je souriais à pleine dents : bien fait pour elle.

-  Pouvez-vous sortir un moment ? J'aimerais m'entretenir seule à seule avec Wendy.

Merde. De toute façon, j'avais décidé de ne rien confier à cette femme, et ce depuis le début. Elle pourrait toujours attendre.

Ma mère est sortie s'en dire un mot, en faisant claquer un peu trop violemment ses talons aiguilles sur le sol. Lorsque la porte s'est refermée, le silence est retombé dans la pièce et Madame Milles s'est reconcentrée sur moi.

- Dis-moi Wendy, est-ce que tu rêves lorsque tu dors ?

Question idiote, bien sûr que je rêve ! Néanmoins, je ne lui ai pas répondu.

Voyant que j'étais déterminée à ne pas ouvrir la bouche, elle s'est penchée au dessus de son bureau pour se rapprocher de moi. Son visage était si près que je sentais son haleine chaude sur ma joue.

-  Est-ce que... tu l'as déjà rencontré dans un de tes rêves ? Était-elle seule ? Que t'a-t-elle dit ?

J'ai frissonné légèrement. Ses questions étaient-elles vraiment dû au hasard ? Ou alors, savait-elle pour... l'autre monde ?

 Toutes ses questions sont restées sans réponse de ma part, et elle a soupiré avant de se rasseoir correctement.

-  Tu finiras bien par te confier à moi, comme tous les autres. Je serai patiente.

Si elle croyait que j'allais céder facilement, elle se trompait lourdement. Je n'étais pas une personne du genre à partager sa douleur avec les autres, et encore moins avec des inconnus.

À cet instant, assise sur cette chaise dans cette pièce avec cette femme, j'ai maudi ma mère.

Pourquoi essayait-elle tant de m'aider ? Je n'avais rien demandé, et ce n'était pas ce que je souhaitais.

J'avais promis à Elena d'être forte, mais pour moi, passer à autre chose serait comme l'oublier et ça, je ne pouvais pas l'accepter.

Je n'avais qu'une envie : disparaître de ce monde est aller la rejoindre.



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