Chapitre 16

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     Un espace que je percevais sans vraiment pourvoir l'atteindre... J'étais à la fois une brique de ce lieu, mais aussi un spectateur extérieur à ce monde. Démuni d'une enveloppe charnelle, je n'avais que conscience de mon existence, quoique, les doutes me parcouraient l'esprit. Je constatais. Je n'analysais pas. Je ne réfléchissais pas. Je ne résonnais pas. Je constatais.

     Soudain, je vis. Je vis une tache noire. Non pas une tâche, un objet, à plat. Non, pas tout à fait ça... C'était plus long. Une silhouette ? Un être humain. Il se rapprochait, non, c'était moi qui me rapprochais. Peu importe. C'était une silhouette, petite, allongée. Sa tête était grosse par rapport à son corps. C'était un enfant. Il ne bougeait pas, immobile, mort ? Non. Il ne l'était pas. Enfin, je n'étais personne pour pouvoir en juger.

     Qu'est-ce qui fait que je le sais humain ? « Je » le sais humain... Qu'est-ce que ce « je », suis-je un humain moi aussi ? Oui, il me semble... il me semble... Ah ! J'ai des mains, des bras aussi. J'arrive à me palper. Je n'arrive pas à compter le nombre de mes doigts.

     L'image est floue, se brouille, les formes coulent comme la peinture.

     Ah ! Mais oui, je sais ! Je m'appelle...

     Un froid de blizzard m'attrapa, me déchiqueta. J'inspectai mon corps toujours plongé dans ce monde blanchâtre. 

     Cette silhouette, la tache d'encre juvénile, elle avait fondu. Il ne restait plus que moi, moi aussi, je la ressentais cette encre... Non... Autre chose... du métal. Il partait de mon ventre, ses racines se propageaient et grandissaient. Mon bras gauche me faisait mal... Cette masse de ténèbres m'absorbait, m'opprimait, je perdais à petit feu glacé, l'humanité qui sommeillait. Il vint un moment où la masse noire absorba le bras, puis plus encore, tout mon être, toute mon âme, mes pensées.

     Quelques ondes virevoltaient, puis plus rien, presque plus rien.

     « Ne – te – prend – pas – pour – un – héros – tragique – vieux - ! »

     Non.

     Pas maintenant, pas encore !

     Je bondis. Un papillon auparavant posé sur la pointe de mon nez prit son envol pour fuir vers l'horizon.

     Qu'est-ce que c'était que ça ? Encore des visions. Elles sont similaires à celles que j'avais déjà pu expérimenter. Bien qu'étranges et tortueuses, il fallait admettre à l'évidence qu'elles étaient probablement l'une de mes seules pistes pour me sortir de l'amnésie.

     Les yeux piquants, je constatais les rayons du soleil percer à travers la végétation du bois. Par réflexe, je tentais de me lever comme après une bonne nuit de sommeil, ou plutôt d'un cauchemar destructeur. Mais rien n'à faire, tous mes membres se bloquaient, se contractaient. Après avoir roulé, gigoté, gesticulé, je m'asseyais enfin en tailleur. Les courbatures et la fatigue seules ne se plaçaient pas comme des ennemies qui entravent mes mouvements. Autre chose me faisait défaut.

     L'esprit toujours embrumé, il m'avait fallu quelques secondes pour m'en rendre compte. J'inspectai mon corps d'une œillade instinctive. Une masse m'écrasa la boite crânienne et foudroya tout mon être. Des souvenirs refirent surface. Je vis alors des images défiler dans mon esprit, successivement, à toute vitesse. 

     Cister, Cister, Cister, médecins, marche, magasin, armes, morts, cadavres, sang, cadavres, poignarde, fuite, couteau, dos, écrouler, fuite, riposte, arme, poitrail, place, lame, manche, dents, coup de poing, courir, derrière, propulser, valdinguer, s'écraser, prier, linge, bondir, esquiver, réussir, temps, partir, courir, forêt. 

Seul avec personneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant