Chapitre 2

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| Aujourd'hui je suis en colère. En colère contre ce monde où les gens disparaissent sans laisser de trace. En colère contre la société. En colère contre les responsables. En colère contre moi qui suis incapable de protéger ceux que j'aime. En colère contre moi qui suis incapable de faire changer les choses. Je suis remplie d'une rage dévastatrice. |

J'ai attendu que Paul tourne les talons pour me mettre à pleurer. On dit qu'on s'y habitue, et c'est vrai. On s'habitue à ce que des centaines d'inconnus disparaissent tous les jours. On s'habitue à vivre dans la peur que demain le nom d'un nos proches soit sur une liste de disparu, on s'habitue à vivre dans la peur. Mais on ne s'habitue jamais à la douleur de la disparition. On ne peut pas s'habituer à la chambre vide au fond d'un couloir, ou au vide laissé dans nos coeurs. On pleure nos disparus, mais on a pas le choix, il faut continuer à vivre, continuer à se battre pour vivre. J'ai inspiré un grand coup et je me suis calmée. J'ai essuyé mes joues pleines de larmes et j'ai respiré doucement pour reprendre le contrôle de ma respiration. "Transforme ta tristesse en rage." m'as soufflé une petite voix. Et j'ai décidé de l'écouter. Je me suis précipité dans ma chambre. Cette fois ci la coupe est pleine je n'en peux plus ! J'ai fouillé dans mon armoire et je me suis changé en quatrième vitesse. J'ai enfilé un short, un tee-shirt, des baskets et j'ai attaché mes cheveux en queue de cheval. J'ai descendu les escaliers du 1er, j'ai attrapé mes gants de boxe et je suis parti dans le garage. J'ai enfilé les gants, mis mes écouteurs dans les oreilles, lancé la musique, et j'ai frappé le punching-ball. Une fois. Deux fois. Trois fois. Des coups puissants et ajustés. J'ai frappé, encore et encore. J'ai du frapper ce pauvre punching-ball pendant au moins une heure. Au bout d'une heure, épuisée, je me suis laissée tomber sur le sol. J'ai enlevé mes écouteurs, et je me suis relevée pour aller m'adosser contre le mur. J'ai appuyé ma tête contre le mur et j'ai ramené mes genoux vers moi. J'ai fermé les yeux. Et j'ai réfléchi. Cette petite séance de boxe m'avait permis d'évacuer un peu, mais la rage était toujours là. Enfouie au fond de moi, elle me donnait une puissance incontestable. Il fallait faire quelque chose. Mais quoi ? Moi, Sarah 16 ans qu'est-ce que je vais pouvoir faire du haut de mon 1m75 ? J'ai senti une nouvelle bouffée de rage m'envahir. Je l'ai contenu, et je me suis levée. Ça ne servait à rien de se morfondre, il fallait agir. Et vite. Mais comment ?
Je suis montée prendre une douche rapide. Je suis sortie et j'ai enfilé un débardeur noir et un short militaire. Il faisait chaud en ce moment, on était en juin. Le 29 juin pour être précise, et tout à commencé il y a exactement 1 093 jours. Ça fera 3 ans demain.
En 3 ans la population est passée de 8 milliards d'habitants à 3.5 milliards d'habitants au dernier recensement en date à savoir il y a 3 mois. Aujourd'hui la population doit tourner dans les 3 milliards je pense. Imaginez 3 milliards de personnes affamés, tristes, et surtout effrayés. Imaginez ce que devient un pays quand son président disparaît une nuit et que les hommes politiques ne sont plus assez nombreux pour vous cachez la vérité. Imaginez ce que deviennent les bébés quand leurs deux parents ont disparu. Imaginez 3 milliards de personne livrée à elle-même qui n'ont plus rien à perdre. Imaginez une société sans leader, une société où les plus faibles meurent et les plus forts peuvent espérer vivre. Parce qu'il ne faut pas croire que les 5 milliards de personnes qui ne sont plus là, ont toutes disparues. C'est faux, seulement 2 milliards ont du disparaître pendant la nuit, les autres sont morts de faim, de maladies, de vieillesse, ou ont été tués par quelqu'un de plus fort qu'eux. Et c'est dans cette société la que je vis. Au début, tout le monde pensait que tout se passerait comme d'habitude, que l'économie serait la même, la justice et la politique aussi, seulement quand il n'y a eu plus personne pour gérer les banques où pour diriger le pays, les défavorisés ont rapidement pris le pouvoir. Aujourd'hui le monde entier vit dans une anarchie totale et dévastatrice.
J'ai glissé un couteau dans ma ceinture, ainsi que deux autres, cachés sous mon short retenu par une espèce de ceinture. J'ai également chargé mon pistolet que j'ai glissé dans mon dos. On est jamais trop prudent. Aujourd'hui la nourriture devient de plus en plus rare ainsi que tout le reste, et même si le reste de la ville me connais et sait qu'il ne faut pas trop se frotter à moi, on est jamais trop armé, ou trop entraîné. Je ne sais pas vraiment si c'est de la chance ou pas, mais avant, mon père était militaire, et quand tout a commencé, il nous a entraînés Paul, ma mère et moi pour que nous puissions nous défendre... Je crois que c'est la meilleure décision qu'il ait pris de toute sa vie.
J'ai attaché mes cheveux en tresse. Mouillés, ils tombaient jusqu'à mes fesses humidifiant agréablement mon débardeur. J'ai enfilé une paire de basket noire, et je suis descendue dans la cuisine. Paul était déjà parti, il m'avait laissé un mot sur la table de la cuisine.
"Je vais chasser. Envoi moi un texto quand tu pars de la maison, puis toutes les heures jusqu'à ce que tu rentres. Je m'inquièterais si tu oublie.
Ton grand frère qui t'aime.
P.S: si tu pouvais trouver de la lessive ou quelques choses pour laver les vêtements ce serait pas mal, j'ai pris mon dernier caleçon ce matin."
J'ai souri en lisant ces quelques lignes. Malgré tous, la vie continuait son cours, et la terre continuait de tourner. Sans s'en rendre compte, Paul avait trouvé les mots justes pour me calmer. J'ai pris mon téléphone et j'ai envoyé un SMS à Paul.
~Je pars. Je vais essayer de te trouver de la lessive, mais je ne te promet rien.~
Il m'a répondu immédiatement.
~D'acc, écoute si vraiment tu trouves pas c'est pas grave. Fais juste bien attention à toi.~
~Promis. Je t'aime.~
~Je t'aime aussi petite soeur.~
J'ai souri, et j'ai glissé mon portable dans ma poche. J'ai ouvert la porte, et je suis sortie. J'ai claqué la porte derrière moi. Inutile de fermer à clé, même s'il y avait effraction et vol, les voleurs ne seraient ni pris ni punis. L'avantage, c'est que nous habitions une maison de banlieue. Les voleurs ne venaient pas trop traîner dans ses quartiers, et de toutes façons les voleurs se faisaient de plus en plus rares. Mon téléphone a vibré. 10h, l'heure du pointage. J'ai confirmé que je n'avais pas disparue pendant la nuit, et mon coeur s'est serre en pensant à mon père qui ne pointerait pas aujourd'hui. Dans moins d'une heure les premiers "bulletins de la mort" comme on les appelait allaient tomber. Combien de disparu aujourd'hui ? J'ai avancé jusqu'au bout de la rue. Et je me suis mise à courir vers le centre-ville en rasant les murs, faisant quelques légers détours. Dans cette ville fantôme, où des assassins peuvent surgir à tout moment, la discrétion et la rapidité sont tes meilleures alliées.
La sensation de liberté est toujours là même. Le vent sur tout visage, est plus ou moins frais en fonction des saisons, mais une chose est sûre, il apporte toujours un million d'odeur caractéristiques. En 3 ans j'ai acquis une endurance et une vitesse digne des jeux olympiques. Je sais me battre aussi bien à main nu qu'avec un couteau. Je ne rate jamais avec cible que se soit avec un arc ou avec un pistolet. Et je sais reconnaître une multitude d'odeur caractéristiques de la ville et des bois.
J'ai couru vers le centre-ville. Une odeur de mort fraîche flottait dans l'air. Un groupe devait traîner dans le coin. J'ai cherché le cadavre dans les ruelles aux alentours. J'ai tourné à gauche puis à droite. Je me suis arrêté au croisement d'un boulevard et d'une petite rue. Il fallait que je traverse ce boulevard, mais je serais à découvert pédant quelques minutes. J'ai jeté un oeil, il y avait un groupe au bout de la rue. Impossible de traverser. Je suis revenue sur mes pas silencieusement. Ils étaient trop nombreux. S'ils me trouvaient j'étais fichue. J'ai avancé dans une rue parallèle au boulevard. Je m'approchais de plus en plus du groupe. Il fallait que je les dépasse pour pourvoir traverser. J'ai jeté un coup d'oeil dans une rue, personne, super. Le cadavre n'était plus très loin. J'ai traversé la rue en courant, et je me suis arrêté derrière une benne pour reprendre mon souffle. Le groupe se rapprochait. Ils étaient nombreux. Au moins 5, si ce n'est plus.
"-Tiens tiens, mais regardez qui voilà. Sarah Belly."
Je me suis retournée. Un jeune homme se tenait derrière moi.

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