Chapitre 1 : Chasse-moi

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Mercredi 25 janvier, huit heures, Allie

J'avais beau relire, encore et toujours cette missive, je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ce qu'il lui manquait. Elle me semblait pourtant parfaite, à une exception près. Exception que je n'arrivais pas à trouver. Cela devait déjà bien faire deux heures que je relisais ces mots en boucle, sans jamais parvenir à pallier leurs défaillances. Le titre était sans équivoque, le contenu était clair et concis, malgré les quelques fioritures que j'avais ajoutées pour capter l'attention de mon lecteur. Les informations y étaient toutes données, certaines explicitement, d'autres qui causeraient sans nul doute des dégâts irréversibles au cerveau de mon interlocuteur avant qu'il ne parvienne à les déchiffrer.

Je savais très bien que mon esprit torturé serait évidemment dur à comprendre pour lui. Mais n'était-ce pas ça le plus génial ? Le jeter dans le grand bain des dédales de mon esprit. Ainsi, je lui ferai goûter à ma folie.

Je relus une ultime fois ma missive, bien décidé à lui envoyer en dépit de ce détail introuvable.

« Genèse vingt-deux,

Cher Louis,

Tu es sûrement tranquillement en train de prendre ton café, un jus d'orange industriel devant toi, sur l'îlot central en marbre blanc de ce magnifique appartement que tu t'es offert, il y a quelques mois. Je pourrais même pousser mon imagination jusqu'à me dire que, puisque nous sommes samedi et que tu ne commences qu'à dix heures, tu es allé chercher ton courrier en rentrant de ton footing, un sac de viennoiseries à la main.

Probablement un pain au chocolat et un pain au raisin. Tu prends toujours les deux ne sachant jamais lequel tu voudras manger une fois assis chez toi.

Sûrement pas un croissant, puisque tu ne cesses de répéter à qui veut bien l'entendre, que les viennoiseries de la boulangerie qui fait l'angle de ton pâté de maison sont absolument sèches et sans goût. Bien loin de ceux que tu as eus le privilège de manger lors de ton voyage à Paris.

Mais je m'égare. Dès lors que je t'imagine lire ma lettre, je me sens déboussolée, haletante et terrifiée. Toujours par trois. Certains soirs, je ferme les yeux et je pense à ton corps sur le mien, au goût de tes lèvres, et à l'odeur de tes cheveux en sortie de douche. J'imagine la vie que l'on pourrait mener ensemble. Mais lorsque j'ouvre mes lourdes paupières, tout n'était qu'un rêve. Tu n'es pas là. Tu n'es jamais là lorsque je m'éveille. Et ça, ça m'énerve, m'horripile et me met hors de moi.

Il y a une chose à savoir à mon sujet, mais tu t'en apercevras très vite: je ne sais pas gérer ma colère. J'ai besoin d'exutoire, sans quoi, elle me ronge de l'intérieur, elle ne cesse de me consumer, et de me détruire.

Quand je t'observe, je ne vois que toutes ces femmes qui ne cessent d'aller et venir dans tes draps, alors que je suis là. Prête à m'offrir à toi. Mais non, toi, tu n'as de cesse de te voiler la face au sujet de nous. Des années que cette file de femmes, entrant la nuit éméchées chez toi et sortant au petit matin, me fait crisser les dents. Des années de colère, je dirais même de rage sans fin, contenue.

Aujourd'hui, j'ai trouvé mon exutoire.

Aujourd'hui, j'ai laissé mes sentiments exploser à la vue du monde.

Aujourd'hui je serais véritablement tienne, attendant que tu deviennes mien.

Je ne pouvais plus garder cela en moi. C'est d'ailleurs ton psychiatre qui me l'a conseillé. Je suis allée le trouver pour parler de mes problèmes, espérant t'y croiser dans la salle d'attente, espérant échanger un sourire que j'aurais voulu timide, espérant faire tout simplement partie de ta vie. Je t'aurais laissé m'inviter au café. Mais rien. Tu n'as jamais su me voir, me voir comme moi je te vois. Alors aujourd'hui, je suis passée à l'offensive.

Arrache-moi les ailes (Editer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant