Chapitre 8 : Envole-moi

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Jeudi 2 Mars, midi, Louis

- Je n'ai plus l'âge pour ces conneries putain, bailla Matthieu.

Il s'étirait et faisait craquer son dos en se courbant dans tous les sens. Des cernes avaient élu domicile sous ses yeux marrons. Il semblait définitivement exténué, aussi bien physiquement que moralement. Il n'était plus fait pour ce travail, nous le savions tous, mais le commissaire Le Guennec ne voulait rien entendre.

Notre chef ne jurait que par Mathieu et ses capacités hors normes et infaillibles de mentaliste. Il n'était pourtant pas le seul dans cet endroit. j'étais proche de la consécration, j'avais suivi cette formation, j'avais tout appris de lui, et des meilleurs. Il ne me restait plus qu'à boucler une affaire et l'on m'acclamerait comme il me sied.

Et je ressentais que cette affaire était celle qu'il me fallait, comme si les dieux eux-mêmes avaient mis cet assassin, ce tueur en série dans mes jambes pour que je puisse briller à tout jamais.

Le geste de mon collègue me donna l'exemple, et je le suivi, me relevant à mon tour. Nous avions passé le quatrième soir d'affilée dans nos bureaux, à nous faire livrer des repas tout prêts. Il avait décrété qu'il ne reviendrait pas avant trois jours pour passer du temps avec sa famille. Moi, je continuerais de faire cavalier seul pour entendre les journaux m'acclamer.

Je serais la légende de cette ville et de tout le pays.

Le combiné du téléphone sonna, perturbant mes pensées en me ramenant à l'instant présent. Mathieu n'eut pas le temps de placer le combiné devant son oreille que j'entendis distinctement la voix nasillarde de notre secrétaire.

- Un appel de votre femme. Je vous met en ligne.

Puis un sourire doux et empli de tendresse se dessina sur les lèvres de l'homme en face de moi. Il hochait la tête, parlait doucement et amoureusement dans le combiné. Je n'avais jamais compris ce changement de personnalité qui s'opérait lorsque les gens "tombaient amoureux".

Peut être était-ce parce que je ne l'avais jamais été. J'étais persuadé que jamais je ne pourrais ressentir ce que tous ressentait. Je n'étais pas comme eux. La dépendance ne faisait pas parti de mon vocabulaire, et peu de sentiments amicaux arrivaient à véritablement m'atteindre. Je n'avais également pas de regrets, d'aucune sorte. Ce qui se rattachait au maximum de leurs description de ce sentiment était une forme de respect et de confiance que je mettais en la personne. mais jamais, je ne succomberais comme ils semblaient tous le faire.

On parlait de tomber amoureux, l'image était là. jamais je ne tomberais, me baisserait, ou ne serait ce qu'inclinerais la tête pour une femme. Là était la plus grande certitude de ma vie.

Alors?

Une fois encore, je fus tiré de mes pensées par l'homme qui avait mis une main sur le combiné pour cacher notre échange à sa femme. Son regard me prouvait qu'il attendait une réponse. Ne voulant pas perdre la face, je me contentai de lever les épaules, pour montrer que peu m'importait.

Il vient manger avec nous, c'est bon. On s'y retrouve! Je t'embrasse.

Il prit sa veste et je le suivis, montant dans sa voiture de fonction en direction d'un restaurant ouvert récemment et dont les jeunes raffolaient. Les banquettes en vinyl, les spot lumineux rouge et les musique projeté par le jukebox ne pouvaient que donner le sourire.

On se rendit à une table où se trouvais déjà sa charmante femme, d'une vingtaine d'année Déborah. Vingt six ans, soit deux ans de moins que moi, pourtant elle reflétait la jeunesse. Elle était le portrait typique de la ménagère, l'âge en moins. Une belle blonde, très fine, dont la coupe de cheveux était, en tout temps, impeccable derrière son serre-tête et ses vêtements stricts. Son crucifix était toujours visible autour de son cou, et sa bague peu onéreuse trônait fièrement -sans raison-, sur son annulaire droit.

Arrache-moi les ailes (Editer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant