Chapitre 40 - La frontière

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Je reprends le volant du fourgon, coinçant Tony entre le Trappeur et moi pour le surveiller de près. Je sais que la peur et l'énervement font dire à Spyke des choses qu'il ne pense pas, mais son soutien rendrait certains choix plus faciles. J'aurais préféré qu'il soit à la place de Greg, pour être sûr que Tony ne tente rien de stupide. Pas que je doute de la loyauté du Trappeur, mais je crains qu'il ne réagisse pas avec autant de fermeté que Spyke s'il avait à le faire.

Pendant que nous roulons, et Tony n'a de cesse de tripoter les boutons de son talkie-walkie pour essayer de capter les conversations de la police. Mais tout ce qui en ressort, c'est un grésillement permanent, entrecoupé de bribes de paroles indéchiffrables, qui bourdonne dans ma tête alors que mon niveau de patience est au plus bas.

– Éteins ça, tu veux.

– Attends, j'y suis presque, me fait-il, tandis que son appareil émet à présent un bruit blanc continu qui me vrille les tympans.

– Tony... le met en garde Greg.

Lui a bien compris qu'il ne faudrait pas grand-chose de plus pour que je balance son talkie par la fenêtre.

– OK, OK, se résigne-t-il avec raison.

Je suis les indications de Tony, et nous nous engageons bientôt sur une piste de terre, puis nous disparaissons carrément de la carte sur un chemin abrupt et caillouteux. Nous progressons lentement, trop lentement à mon goût, et il nous reste plusieurs dizaines de kilomètres à parcourir avant de quitter le pays. Mais Tony n'a pas menti : la route est bel et bien réelle, suffisamment cachée pour ne pas être empruntée par hasard, et praticable pour le moment, en tout cas assez large et de niveau pour permettre le passage d'une voiture. Mais et plus nous avançons, et plus la pente s'accentue, sur un sentier de plus en plus étroit qui n'a plus rien d'une voie carrossable, serpentant entre les défilés rocailleux des contreforts des montagnes du nord et des précipices au fond invisible dans la nuit noire. Le pick-up de Spyke est à son aise, mais le van n'est clairement pas conçu pour le tout-terrain. La fonte des neiges de la fin du printemps associée à la pluie de ces derniers jours ont provoqué des glissements de terrain difficiles à traverser qui m'obligent fréquemment à choisir entre des rochers glissants et des flaques marécageuses. Greg m'adresse un regard, il commence à douter lui aussi. Tony tient à sa peau et se veut rassurant :

– On y est presque ! Derrière cette colline, là-bas, fait-il en désignant un point à plusieurs kilomètres de nous, c'est la frontière.

Mais au détour d'un virage serré, dans un creux, la montagne herbeuse a vomi un torrent de boue à l'allure infranchissable. De l'eau y ruisselle encore, rendant le terrain extrêmement instable. Pourtant, il faut continuer, nous touchons quasiment au but. Alors je m'engage, à une vitesse régulière, en écoutant les consignes du Trappeur qui garde un œil sur le bord du ravin que je ne vois même pas. Le sentier monte, le poids du chargement nous tire en arrière, la boue mouvante nous entraîne vers le précipice. J'accélère pour redresser vers le milieu de la route. Le van bondit en avant, mais il se met à patiner. Impossible d'avancer davantage. Je recule pour reprendre de l'élan. Le plus gros du marécage se concentre au pied de l'aplomb rocheux, il faut que je rase le bord pour l'éviter. Je fais une nouvelle tentative, Tony et le Trappeur s'éloignent autant qu'ils le peuvent de la portière droite, comme si cela pouvait empêcher le van de basculer dans le vide le cas échéant. Mais cet essai n'est pas plus concluant : je reste bloqué exactement au même endroit.

Je recule encore, et réfléchis à la meilleure option, un peu dépité, quand Spyke arrive à mon niveau :

– Tu fais quoi, là, putain ?

– Le van ne pourra pas monter ça, je lui réponds en ignorant son agressivité.

Il ouvre ma portière et me tire quasiment hors du véhicule :

Pour un peu d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant