Moi je déteste lire, parce que les livres ne montrent qu'une partie de la réalité. On peut y mettre ce que l'on veut, que cela soit vrai ou non, les lecteurs ne le savent pas, ils se fient à l'auteur.
Mon père était appelé de différentes façons : « Le Sauveur des Peuples », «Le Héros de la Grande Guerre », « Le Prince des Mondes », « Le Guerrier au grand cœur », « La Flamme de l'Humanité », « L'Apôtre des Dieux » et encore par bien d'autres noms. Tous ces noms font l'éloge de son courage et de sa bravoure, lui qui a combattu les démons et ramené la paix.
Moi je vais anéantir tout cela, tout ce qu'il a accompli, toute sa gloire et sa puissance, je vais l'envoyer en enfer. Car pour moi il n'a rien d'un héros. Je m'appelle Solène Harodon, fille de Victor Harodon Le Grand, et mon but est de devenir aussi détestée que mon père est adulé. Mon père n'est un héros que pour ceux qui ne le connaissent pas. Parce qu'il n'a pas sacrifié sa vie pour sauver le monde, mais sacrifié sa famille pour la gloire. Ses efforts n'avaient rien d'héroïque. Alors je deviendrai la méchante de l'histoire pour briser sa réputation et lui faire payer.
Cela fait un mois que ma mère est morte et que je prépare mon voyage. Elle a cru jusqu'au bout en ce traître qui nous a abandonné, elle était persuadée qu'il reviendrait, qu'il nous sortirait de la misère. Et maintenant qu'elle n'était plus là, on se retrouvait tous les trois mes frères et moi. Simon, mon jumeau, avait essayé de me dissuader de faire ce voyage, pourtant lui aussi vouait une haine féroce à notre père, mais il s'inquiétait pour moi. Malgré tout, c'était important pour moi, et il ne m'empêcherait pas de me venger. Orane, lui, ne se souvenait plus de notre père, alors il faisait comme s'il n'existait pas, il niait son existence et ne prêtait pas attention à notre colère. Alors j'allais nous venger, eux, moi, notre mère, je lui ferai payer son abandon.
Dans les livres, les héros gagnent toujours, et tuent les méchants. Ici c'est mon père le héro, à la fin de l'histoire, je mourrais, et c'est lui qui gagnera. Ça a toujours été comme ça, et ça ne changera pas. Je le sais. Mais je compte bien faire de sa vie un enfer d'ici là. C'est demain que je partirai, j'ai beaucoup économisé, pour laisser de l'argent à mes frères et payer ma nourriture pendant une semaine, ça n'a pas été facile, car dans ce monde les pauvres doivent se battre pour survivre et avoir de l'argent. Je m'étais confectionnée des chaussures en peaux de bêtes en plus de mes sandales en bois que j'utilisais en été. Je m'étais préparée un baluchon avec le strict minimum des choses qui peuvent servir: un bon couteau de chasse, une vieille boussole, une gourde, une longue corde, la plus solide que j'ai trouvée, un plan du continent et une lampe à huile.
Je vérifiais un énième fois mes affaires qui étaient posées à coté de notre porte d'entrée, cette porte que je passerai le lendemain, pour surement ne jamais revenir, tout comme mon père, j'allais abandonner cette maison et ma famille. Mais je ne regrettais pas ma décision, je ne la regretterai pas avant d'avoir semé le chaos. Perdue dans mes pensées, je n'avais pas entendu mes frères arriver derrière moi.
-Solène.
-Ah Simon, je ne vous avais pas entendus. Je vérifie mes affaires une dernière fois, je ne veux rien oublier.
-Tu veux vraiment partir?
Je laissais passer un silence en le regardant dans les yeux, il avait l'air à la fois triste et déterminé. Allait-il encore essayer de m'arrêter? Orane derrière ne disait rien, il sondait mon visage comme d'habitude.
-Oui, ma décision est sans appel, je partirai demain matin.
-Très bien... Soso, tu sais, Rani et moi on en a beaucoup parlé et...on pense vraiment que ce n'est pas une bonne idée, ça pourrait être dangereux, maman nous répétait toujours que la vengeance et la violence étaient de mauvaises choses, mais maintenant qu'elle n'est plus là...on est une famille, on doit s'aider les uns les autres, rester ensemble, et si l'un de nous veut entreprendre quelque chose, on doit le soutenir. Alors si tu pars, nous venons aussi.
-Quoi? Mais non, ce n'est pas ce que vous voulez, il faut s'occuper des moutons, et la maison, c'est la seule chose qui nous reste, vous ne devez pas venir...!
-So, c'est notre décision, je suis d'accord avec Simon. De toute façon j'ai toujours eu envie de quitter cet endroit, et le plus important pour notre famille, ce n'est pas cette maison, mais tous nos souvenirs, et les liens qu'on y a formé.
-Orane...
Je sentais les larmes couler de mes yeux, il parlait si rarement, mais lorsqu'il s'exprimait, il valait mieux l'écouter, je le savais. Je voyais mes deux frères me faire face, Simon souriant, Orane inexpressif, oui, je n'étais pas seule, nous étions une famille. Et nous resterions tous les trois, jusqu'à la fin.
-J'ai demandé à Monsieur Ramond de prendre nos moutons en plus des siens, il a été assez étonné, mais c'est une bonne année, alors il a accepté. On va préparer nos affaires nous aussi. Est ce que tu pourras nous faire des chaussures d'hiver aussi dans les jours à venir ?
-Bien sur, laissez moi m'en occuper, on vous achètera des capes au village avec les économies que je voulais vous laisser.
-Merci Soso... ça sera notre premier voyage à tous les trois, et on sera ensemble, ça m'inquiète et me rend heureux à la fois.
Je souris, Simon avait raison, ça serait une nouvelle expérience pour nous, j'avais hâte de partir maintenant. Mes frères retournèrent dans la petite chambre que nous partagions pour finir de préparer leurs affaires, et j'eus envie de nous cuisiner un bon repas pour célébrer la veille de notre départ. Un ragout de pommes de terres, le plat préféré d'Orane, nous ne pouvions le faire qu'à de rares occasions à cause du prix élevé des ingrédients. Je laissais mijoter et rappelais mes frères pour que l'on dine. Contrairement à ce que je pensais depuis la mort de notre mère, je pourrais surement encore profiter de cette ambiance chaleureuse avec eux, je sentais une chaleur s'installer au creux de moi, un drôle de sensation, qui j'espère ne s'arrêterait pas.
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Bien de Malheur
ParanormalMoi je déteste lire, parce que les livres ne montrent qu'une partie de la réalité. On peut y mettre ce que l'on veut, que cela soit vrai ou non, les lecteurs ne le savent pas, ils se fient à l'auteur. Mon père était appelé de différentes façons : «...